mardi 26 octobre 2010

IRM dans le salon de Nelly

Maintenant que je suis dans une école d’art, je me fais inviter à des trucs un peu plus conceptuels qu’à des crêpes party. Du genre concert de musique contemporaine en appartement. Pourquoi pas? Tant qu’il y a aussi des bières !


Ils sont deux, un gars et une fille, la trentaine, et ils font de la musique avec des enregistrements d’IRM.  Pour ce faire, ils investissent subrepticement un coin de votre salon, baissent l’intensité des lampes halogènes et, cachés derrières tout un fourbi de lap-tops et autres tables de mixage, font émerger des bruits étranges de derrière la plante verte, de l’étagère Ikea ou du dessus du frigo.


Bien que d’ordinaire j’aime bien les trucs qui sortent de l’ordinaire, j’avais quand même peur en arrivant que ça se révèle un peu trop concept pour moi. Mais il n’en fût rien, bien au contraire. Car si la structure des morceaux ne ressemble à rien de ce que l’on peut entendre sur les radios et qu’on sort du tempo traditionnel en 4:4, le duo ne sombre jamais dans les travers bruitistes, et on finit même par se laisser emporter par ces mystérieux spectres sonores qui parviennent petit à petit à faire résonner l’âme à la manière d’un Kandinsky.
Une rythmique mécanique sert de toile de fond à des échos qui rappellent curieusement les cris de Flipper le dauphin. Notre oreille perd pied dans un océan de bruits sourds, internes, maladifs ou planants, qui partent et qui reviennent comme la rumeur des vagues. En effet, on nage constamment entre un sentiment proche de l’angoisse de l’accident et une sorte de plénitude fœtale. On se retrouve plongé dans un état catatonique rêveur, si bien qu’à la fin, impossible de dire combien de temps s’est déroulé.
Un moment étonnant à vivre affalé dans un canapé, quand la nuit tire son voile de mystères sur le monde, et que l’apéritif qui précède commence à vous faire oublier l’engourdissement d’une journée beaucoup trop banale pour le super-héros qui sommeille en vous.

Bref, une expérience quasi mystique, qui ne laisse visiblement personne indifférent : certains se sont laissés emporter dans un monde féerique et cotonneux où tout est barbe à papa, tandis que d’autres ont dû carrément quitter la pièce sous l’oppression sonore, alors que les enfants présents s’endormaient dès les premières notes, comme si ces échos médicaux contenaient un concentré insoupçonné d’histoires du père castor.


Après Charlotte Gainsbourg, on retrouve donc le son si particulier de l’IRM, décidément à la mode dans le champ de la création musicale, mais utilisé ici de manière beaucoup plus brute et radicale : la totalité des sons sont enregistrés lors de séances en hôpital, et modifiés le moins possible après coup. Les deux compères se sont toutefois permis d’utiliser des micro-contacts pour capter des sonorités inaudibles à l’oreille humaine, comme pour mieux prendre le pouls de ce caisson créateur d’imagerie par résonance magnétique, véritable machine à rendre claustrophobe, qui permet de sonder jusqu’au plus profond des individus. Au fond, c’est un peu comme les lunettes pour voir les gens tout nus. Sauf que là, on constate surtout tout ce qu’il peut y avoir d’effrayant à voir l’invisible.
En ce sens, la démarche n’est pas anodine : on prend une machine à la pointe de la technologie mais frigide au possible, et on en fait quelque chose de poétique et d’abstrait, annihilant du même coup toute finalité fonctionnelle de l’objet de départ (à moins que l’on considère qu’en mettant du baume au cœur, la musique puisse guérir d’une quelconque manière).


Donc finalement c’était plutôt sympa comme soirée, surtout qu’il y avait aussi des crêpes ! Alors si vous voulez voir à quoi ça ressemble, allez faire un tour sur leur myspace, qui contient quelques extraits pas forcément représentatifs de l’ambiance déstabilisante qui règne en live, ou, mieux, invitez-les chez vous pour un concert entre amis, un peu comme les Hushpuppies à la belle époque.