mardi 30 novembre 2010

Alcool et cinéma: un cocktail d'enfer

Si vous pensez que, comme le suggère une séquence d’Eternal Sunshine of the Spotless Mind, la dernière heure sonnée, on dira hypocritement de vous, par respect pour votre dépouille encore tiède, que vous étiez quelqu’un de « social » ou un « bon vivant », alors que tout au long de votre vie de pochtron, on ne s’est pas gêné pour vous traiter d’ivrogne ou d’alcoolique, alors cet article est fait pour vous : il vous aidera à préparer votre défense lors du jugement dernier. Car force est de constater qu’en matière de soûlographie, les exemples biens imbibés ne manquent pas en ce bas-monde, même lorsque qu’on fait l’effort d’aller se faire une toile plutôt que de cirer le comptoir du bistrot du coin.

N’en déplaise à Bukowski et Gainsbourg, la boisson n’est pas en reste quand il s’agit de cinéma, loin s’en faut. Et à ce jeu là, chacun à ses petites habitudes : dans Pierrot le fou, Jean-Paul Belmondo commande toujours deux demis de bières, parce quand il a fini, il aime bien qu’il lui en reste encore la moitié. Cary Grant quant à lui se laisse plus volontiers tenter par un Gibson (deux mesures de gin pour une de vermouth) entre deux courses-poursuites dans La mort aux trousses. Dans Les enchaînés (Notorious), c’est au tour d’Ingrid Bergman (Alicia) d’apparaitre éméchée devant la caméra d’Hitchcock, si bien que le même Cary Grant (Delvin) la croira alcoolique lorsqu’elle sera lentement empoisonnée par son petit ami. Par ailleurs, c’est dans des bouteilles de vins que se dissimule l’uranium qui sert de MacGuffin au film.
Sinon, dans un registre plus beauf et typiquement français, on rappellera la scène culte des Tontons flingueurs, ou encore celle des Bronzés font du ski, où les terribles membres du Splendid font d’un seul coup moins les malins devant un verre de liqueur de crapaud.


David Lynch est d’accord avec moi : la Heineken, c’est de la pisse, comme le suggère cette scène tirée de Blue Velvet. Autre exemple un peu plus subtil de scène avec de l’alcool chez ce cinéaste un peu trop tordu pour être parfaitement compréhensible : un extrait de Lost Highway où le personnage principal commande un double scotch avant de rencontrer un homme blafard au mystérieux don d’ubiquité. Ici, le choix de la boisson n’est sûrement pas anodin puisqu’il mettra le spectateur attentif sur la bonne voie pour découvrir la clé du mystère, le buveur de doubles doses s’avérant être victime d’un fâcheux dédoublement de la personnalité, source notoire de ses problèmes métaphysiques.

Il faut dire que les réalisateurs eux-mêmes semblent parfois pas mal portés sur la bouteille. Ainsi Francis Ford Coppola posséderait son propre domaine vinicole. John Huston s’est lui expatrié en Irlande pour mieux goûter le whisky à sa source, tandis que John Ford donnait souvent les rôles secondaires de pilier de bar à son frère Francis, qui n’avait guère à forcer le trait pour jouer les alcoolos de service. A côté de ça, la plupart des acteurs passent pour des petits sirops, et seul Humphrey Bogart semble tenir le choc quand il déclare :« Après huit verres de whisky, je suis en pleine possession de mes facultés ». Sans blague.

Enfin, le petit écran n’est pas en reste, puisque même les dames ne résistent pas à l’appel de la boisson, en témoigne l’horripilante série Sex and the city, qui a réussi à populariser un cocktail pourtant tombé en désuétude, le fameux cosmopolitan. Et comment ne pas citer la Duff, bière favorite d’Homer Simpson. Pour l’anecdote, la marque existe aussi dans notre monde à trois dimensions, puisque j’en ai bu une à Fribourg avec les Ouais tout en pissant à coté du bassiste fou des Mondrians. La Duff était chère et pas terrible, mais l’expérience mystique qu’elle a procurée valait la peine.

Arnaques, crimes et botaniques, ou comment tourner une scène bien arrosée

Mais s’il y en a bien un qui sait boire avec classe, c’est James Bond, qui trouve toujours le moyen de s’enfiler une coupe de champagne en charmante compagnie même en plein milieu des missions les plus périlleuses. Son inclinaison pour l’alcool remonterait à ses toutes premières aventures littéraires sous la plume de Ian Fleming, le génial inventeur de l’espion débonnaire, qui fera ingurgiter à son personnage au cours de ses aventures pas moins de 317 boissons alcoolisées, dont 101 whisky, 35 sakés, 30 coupes de champagne, mais seulement 19 vodka-martinis (soit une moyenne d'une boisson toutes les sept pages tout de même). L’agent 007 semble en effet n’être devenu un inconditionnel de son emblématique cocktail qu’à son passage au grand écran. Et au shaker, bien sûr !


Mais quand l’espion britannique commande son mélange fétiche dans Casino Royale, et que le serveur lui demande, comme le veut la tradition, s’il le prendra au shaker ou à la cuiller, Bond, qui vient de subir une tentative d’empoisonnement alors qu’il dilapide gaiement l’argent de la couronne dans une partie de poker pour bandits, a cette réponse un peu hors de propos : « qu’est-ce que ça peut me foutre ?! ». La scène résume à elle seule l’esprit du film, qui navigue sans cesse entre la formation d’un mythe et la déconstruction d’une icône, qui perd ici en une seule réplique tout le flegme so british qu’on lui connait si bien.
Ce film est aussi l’occasion de découvrir un autre cocktail made in 007 dont la composition est dévoilée dans une autre séquence bien arrosée. Ainsi le Vesper, nommé ainsi en référence au prénom d’une James Bond-girl (car « une fois qu'on y a goûté, on n'a envie de rien d'autre »), consiste en trois mesures de gin Gordon, une mesure de vodka et une demi-mesure de Kina Lillet (un apéritif à base de vin et de fruits), le tout servi avec un zeste de citron et une olive verte. La recette est de papa Fleming lui-même, qui l’aurait mis au point avec un compagnon de beuverie dans une de ces fins de soirée où le divin nectar donne soudain des élans créateurs incontrôlables.

Finalement, à bien y réfléchir, on se rend compte que l’alcool est très souvent présent sur nos écrans, mais fait pourtant rarement parti des sujets de fond d’un film. Au contraire de thématiques comme la drogue, qui a donné lieu à de nombreux films géniaux plus ou moins critiques à son égard (Requiem for a Dream, Trainspotting, Las Vegas Parano, Blow, la plage), le septième art semble réticent à l’idée de dépeindre les problèmes que peut engendrer la consommation d’alcool, et continue implicitement de faire son apologie au même titre que la cigarette. On constate en effet que les souillons sont le plus souvent cantonnés à des seconds rôles sans réel contenu satirique, l’alcoolo étant plus là pour faire rire qu’avancer l’action. Doit-on en conclure que la boisson est un sujet trop bien connu de la majeure partie du public pour permettre à la magie du cinéma d’opérer pleinement, tant le spectateur serait renvoyé à son quotidien éthylique ?

mardi 26 octobre 2010

IRM dans le salon de Nelly

Maintenant que je suis dans une école d’art, je me fais inviter à des trucs un peu plus conceptuels qu’à des crêpes party. Du genre concert de musique contemporaine en appartement. Pourquoi pas? Tant qu’il y a aussi des bières !


Ils sont deux, un gars et une fille, la trentaine, et ils font de la musique avec des enregistrements d’IRM.  Pour ce faire, ils investissent subrepticement un coin de votre salon, baissent l’intensité des lampes halogènes et, cachés derrières tout un fourbi de lap-tops et autres tables de mixage, font émerger des bruits étranges de derrière la plante verte, de l’étagère Ikea ou du dessus du frigo.


Bien que d’ordinaire j’aime bien les trucs qui sortent de l’ordinaire, j’avais quand même peur en arrivant que ça se révèle un peu trop concept pour moi. Mais il n’en fût rien, bien au contraire. Car si la structure des morceaux ne ressemble à rien de ce que l’on peut entendre sur les radios et qu’on sort du tempo traditionnel en 4:4, le duo ne sombre jamais dans les travers bruitistes, et on finit même par se laisser emporter par ces mystérieux spectres sonores qui parviennent petit à petit à faire résonner l’âme à la manière d’un Kandinsky.
Une rythmique mécanique sert de toile de fond à des échos qui rappellent curieusement les cris de Flipper le dauphin. Notre oreille perd pied dans un océan de bruits sourds, internes, maladifs ou planants, qui partent et qui reviennent comme la rumeur des vagues. En effet, on nage constamment entre un sentiment proche de l’angoisse de l’accident et une sorte de plénitude fœtale. On se retrouve plongé dans un état catatonique rêveur, si bien qu’à la fin, impossible de dire combien de temps s’est déroulé.
Un moment étonnant à vivre affalé dans un canapé, quand la nuit tire son voile de mystères sur le monde, et que l’apéritif qui précède commence à vous faire oublier l’engourdissement d’une journée beaucoup trop banale pour le super-héros qui sommeille en vous.

Bref, une expérience quasi mystique, qui ne laisse visiblement personne indifférent : certains se sont laissés emporter dans un monde féerique et cotonneux où tout est barbe à papa, tandis que d’autres ont dû carrément quitter la pièce sous l’oppression sonore, alors que les enfants présents s’endormaient dès les premières notes, comme si ces échos médicaux contenaient un concentré insoupçonné d’histoires du père castor.


Après Charlotte Gainsbourg, on retrouve donc le son si particulier de l’IRM, décidément à la mode dans le champ de la création musicale, mais utilisé ici de manière beaucoup plus brute et radicale : la totalité des sons sont enregistrés lors de séances en hôpital, et modifiés le moins possible après coup. Les deux compères se sont toutefois permis d’utiliser des micro-contacts pour capter des sonorités inaudibles à l’oreille humaine, comme pour mieux prendre le pouls de ce caisson créateur d’imagerie par résonance magnétique, véritable machine à rendre claustrophobe, qui permet de sonder jusqu’au plus profond des individus. Au fond, c’est un peu comme les lunettes pour voir les gens tout nus. Sauf que là, on constate surtout tout ce qu’il peut y avoir d’effrayant à voir l’invisible.
En ce sens, la démarche n’est pas anodine : on prend une machine à la pointe de la technologie mais frigide au possible, et on en fait quelque chose de poétique et d’abstrait, annihilant du même coup toute finalité fonctionnelle de l’objet de départ (à moins que l’on considère qu’en mettant du baume au cœur, la musique puisse guérir d’une quelconque manière).


Donc finalement c’était plutôt sympa comme soirée, surtout qu’il y avait aussi des crêpes ! Alors si vous voulez voir à quoi ça ressemble, allez faire un tour sur leur myspace, qui contient quelques extraits pas forcément représentatifs de l’ambiance déstabilisante qui règne en live, ou, mieux, invitez-les chez vous pour un concert entre amis, un peu comme les Hushpuppies à la belle époque.

vendredi 10 septembre 2010

Inception, le plagiat et la pop music : une enquête de l’inspecteur Schmouldu

Après un batman très dark, Christopher Nolan se fait plaisir avec Inception, film d’anticipation qui raconte comment un bandit de haut vol réalise des prouesses de manipulation mentale en s'introduisant dans les rêves d’un individu pour y implanter une idée, tant et si bien qu'au réveil la victime croit la pensée venue d’elle-même.
Alors, pure science-fiction ? Pas si sûr, si on se réfère à un fait divers (et d'hiver) qui remonte à quelques temps déjà :


Décembre 2008 : le guitariste Joe Satriani accuse Coldplay d'avoir plagié une de ses chansons sur leur single Viva la vida, titre phare de leur nouvel album éponyme. La polémique est lancée : les  fans crient au scandale et les vidéos sur le sujet foisonnent vite sur la toile, comme celle-ci, qui permet de comparer les deux morceaux :



Et effectivement, dès la première écoute, pas besoin d’avoir l’oreille absolue pour constater que c'est kif-kif bourricot. L'une à beau être chantée à tue-tête tandis que l'autre est martelée sur une guitare Ibanez, les deux mélodies sont rigoureusement identiques, dans le tempo comme dans les notes. Dès lors, pas étonnant que les deux partis trouvent vite un accord à l'amiable à coup de liasses de billets verts, Coldplay s'épargnant ainsi les désagréments d'un procès retentissant, peu en phase avec leur image bien proprette de boys band mielleux.


Affaire conclue ?  - Non !, s'écrie l'intraitable inspecteur Schmouldu, qu'un apparent paradoxe intrigue dans cette histoire : pourquoi un gentil garçon comme Chris Martin, le charismatique leader de Coldpay, qui a déjà largement prouvé ses talents d'auteur-compositeur avec tout de même plus de quarante millions d'albums vendus, irait-t-il bêtement piquer le riff d'un guitariste franchement ringard au risque évident de faire éclater un scandale ?

L'affaire ne tient pas debout, et on y perd notre latin, ce qui est bien dommage, car ça fait toujours classe de placer une locution dans une langue morte quand on veut briller en société, et ça permet parfois d'avancer, la preuve en sept lettres : cui bono ?
Finalement, le crime ne profite qu'à un seul, le mystérieux Joe Satriani, inconnu au bataillon jusqu'à ce que cette étrange affaire de plagiat le révèle au grand jour, lui offrant soudain une excellente publicité pendant qu’il s’en met plein les fouilles, tout en redorant son image auprès du public en passant pour un vrai, un dur, à côté de ces pop stars à la noix sans scrupules. Alors que moi, Joe, je suis peut-être chauve et moche, n'empêche que j'envoie des solos de guitares de malade à la pelle, pas comme ces pédales de rosbifs, et même que je suis trop rock'n'roll, t'as qu'à voir j'ai tout le temps des lunettes de soleil, comme Philippe Manoeuvre,, et j’ai même des tatouages, si c’est pas la classe ça, alors achetez mes cd, bordel !
Joe Satriani, volé ou voleur ?

Bref, le mobile tenait la route, mais l’arme du crime échappait encore au flair pourtant redoutable de l’inspecteur : l’affaire trainait, et Schmouldu perdait au fil des mois sa crédibilité pourtant légendaire auprès de ses collègues. Mais le vieux bougre ne lâchait pas prise pour autant. La vie lui avait appris que pour résoudre un problème, il vaut parfois mieux s’en extraire. Prendre de la distance. Se vider la tête. Et pour ça, rien de tel qu’un bon polar, ou, mieux, une séance de cinéma. Bingo ! Toujours judicieux dans ses choix, l’inspecteur Schmouldu décide un soir d’aller voir Inception plutôt que The Expendables, et naturellement, il fait vite le lien entre le film et l’objet de son marasme : en manque de reconnaissance, Satriani aurait engagé l'espion onirique Cobb (Leonardo Di Caprio) et sa barbichette naissante pour qu'il opère sa fameuse inception sur la personne de Chris Martin, afin que le pauvre garçon se réveille un beau matin persuadé d'avoir trouvé une mélodie qui déchire grave pour son nouvel album. Ainsi fait, l’infâme Joe n'avait plus qu'à attendre que le nouveau tube ne soit diffusé sur toutes les radios avant de porter plainte pour plagiat en prenant bien soin d'avertir la presse, passant ainsi du statut de musicien raté à celui de héros de l'ombre injustement bafoué, tout en ruinant au passage la carrière d'un rival potentiel.
- Beau travail, Joe ! Mais dommage pour toi, l'inspecteur Schmouldu a brillamment déjoué ton plan diabolique, et Coldplay a sorti un album live pour faire oublier cette incartade peu reluisante. Mais ne t'en fais pas mon vieux, tu auras tout le loisir de composer encore pour les autres… Derrière les barreaux ! Le rire machiavélique de circonstance devenant ici, une fois n’est pas coutume, l’apanage du gentil.

Et pour ceux qui ne voudrait pas croire à l'accablante démonstration de notre cher inspecteur, j'apporte ici d'autres arguments pour la défense de Coldplay, non pas que je les porte spécialement dans mon cœur, loin de là, mais je pense que si il y a bien une victime dans l’histoire, c’est eux, et vous aller voir pourquoi.

S’il ne s’agit pas d’une inception, ni de plagiat délibéré, il est fort possible que Chris Martin soit en proie à la cryptomnésie, mot tellement savant que même le correcteur de word ne le connaît pas. Il s’agit d’un phénomène plus courant qu’on ne le pense, qui a pour conséquence de faire ressortir une idée trouvée on ne sait plus trop où, en pensant qu’elle vient de soi. Ce biais cognitif constitue d’ailleurs un des sujets de fond du roman de Douglas Kennedy Rien ne va plus, où un scénariste de génie voit sa carrière ruinée par la critique pour un vulgaire gag inconsciemment pompé sur un autre film.
Ensuite, il suffit de faire appel à l’Histoire pour se rendre compte que Coldplay ne sont pas les premiers à avoir copié sur les autres. Ca arrive même aux meilleurs : George Harrison a ainsi eu le malheur de perdre un procès pour avoir repris (malgré lui ?) l’air d’un tube rythm & blues, ce qui n’a pas empêché My Sweet Lord d’obtenir un succès retentissant encore parfois sur nos radios. Et il peut être aussi bon de rappeler que les Beach Boys ont fait tourner les mêmes accords que Chuck Berry sur Surfin’ USA, et ce sans que le grand public s’en offense. Et la palme revient sans doute au grand Elvis, qui après avoir allégrement piqué dans la musique afro-américaine, a eu le culot de déclarer que les blacks n’étaient bons qu’à cirer ses godasses. A moins qu’il ne s’agisse de son frère jumeau diabolique, mais ça c’est une autre histoire

Dans les trois cas, les morceaux ne sont pas totalement similaires, mais suffisamment proches pour être suspectés de pompage en bonne et due forme. Mais où est la limite entre le plagiat et l’influence, où commence le vol et se termine la référence ? Un musicien doit-il vraiment travailler les oreilles bouchées ?


Comme le montre cette vidéo, les exemples de chansons similaires sont légion, à tel point qu’on ne peut décemment pas conclure au plagiat à chaque fois. J’y vois plutôt le fruit du hasard, cet arbre un peu taquin qui fait si bien les choses qu’elles finissent parfois par se ressembler. Parce qu’on ne peut pas inventer plus de notes qu’il n’en existe, et que pour que nos oreilles en feuilles de chou s’y retrouvent, on suit logiquement certains schémas qui ont déjà faits leurs preuves. Par exemple, rien ne ressemble plus à une chanson de rockabilly que du rock à Billy. Tout simplement parce qu’on ne fait pas de gâteau sans sucre, si on veut que ça reste bouffable. Dans la pop music, les mêmes structures (couplet-pont-refrain), et la même base d’instruments (guitare-basse-batterie) se répètent depuis plus d’un demi-siècle, et on se contente d’apporter un minimum de variation dans les arrangements au gré des modes et des progrès technologiques. La recette n’a rien de nouveau, c’est toujours la même soupe, mais elle est bonne, alors pourquoi changer ? C’est dans les vieilles galtouses qu’on fait les meilleurs plats. Alors oui, c’est un peu facile, mais les jeunes aiment ça.
En fait, comme dirait Baschi, la pop, c’est le fast-food de la musique. Un peu cheap et écœurant. Mais qui ne va jamais au Mac do ?

Et pour conclure sur une note récurrente qui corrobore mon propos, je donnerais l'exemple des accords magiques, une simple progression de quatre notes que suivent invariablement les plus grands titres pop depuis le King jusqu’à nos jours : James Blunt, Alicia Keys, Mika, les Black Eyed Peas, les Red Hot Chili Peppers, Maroon 5, U2, les Beatles, Michael Jackson, Elton John, The Offspring, Bob Marley, Green Day. Beyonce, Pink, la cauchemardesque Lady Gaga et MGMT, pour ne citer qu’eux, enchainent tous les mêmes accords pour composer des tubes planétaires, comme vous pouvez le voir ci-dessous, et ce sans que ça ne choque personne.



En fait, les accords dits magiques suivent la règle du 1-5-6-4, qui constitue l'enchainement mélodique le plus simple, ce qui fait que ça sonne tout de suite bien à l'oreille, et que tout le monde l'utilise. Alors bien sûr, toute la musique populaire ne se limite pas à Mi - Si - Do#m - La, mais de toute manière le peuple ne demande pas de savantes cantates pour se dandiner au rythme d’un orchestre symphonique, mais un arrangement basique et efficace pour se déhancher toute la nuit sans réfléchir au lendemain, où tout le monde aura la gueule de bois, sans que personne n'accuse personne de plagiat pour avoir bu autant de tequila que lui, et c'est très bien comme ça.
 

lundi 16 août 2010

Festival international du film de Locarno 2010


Du 4 au 14 août 2010, l’éblouissante ville de Locarno accueillait pour la 63ème fois son désormais fameux festival du film. Moins people que Cannes, situé dans un cadre plus idyllique que la grisonnante Berlinale, le festival au léopard d’or est devenu au fil des années un rendez-vous incontournable des cinéphiles, tout en s’efforçant de rester ouvert au public. En outre, la section pardi di domani offre aux plus jeunes réalisateurs la chance de faire connaître leurs premiers métrages au public et à la critique.
En journaliste avisé, votre intrépide chroniqueur a chaussé ses lunettes de soleil pour prendre la température caniculaire d’une ambiance surchauffée, oubliant parfois l’essentiel…


Palmiers, cinéma et soleil : il soufflait comme un vent de Croisette sur les rives du lac Majeur en ce début d’après-midi, quand je décidai de piquer une tête pour me sortir de la torpeur du voyage. O sole mio !

J’étais parti le matin-même, sur un coup de tête, histoire de changer d’air et de rentabiliser un peu mon AG. Je n’avais pris qu’un pull, un couteau, une canette de 1664 pour la forme et un Kerouac pour le trajet, fourrés à la va-vite dans un sac à dos qui me servirait d’oreiller pour dormir à la belle étoile. Et me voilà on the road, sautant dans le train de 8h27, un sandwich sous le bras, tel un vagabond solitaire en voie de disparition, parti en grande vadrouille, fonçant vers l’inconnu, into the wild. En chemin, je traverse des montagnes de plus en plus escarpées, le long des rails qui surplombent des torrents argentés, avant que les défilés rocheux ne plongent brusquement dans un lac de velours, parachevant ce paysage de carte postale, tandis que les freins crissent à l’arrivée en gare. Nous voici à Locarno, et c’est comme au cinéma : architecture du sud, avec ses façades couleurs pastels, ses colonnes toscanes, ses trompe-l’œil, et ses petites ruelles cachées qui donnent sur des patios ombragés à la végétation luxuriante. Une terre de Cocagne dallée de pavés rouge. Manifestement, le Tessin, ce n’est plus vraiment la Suisse, on dirait le sud, ça ressemble à la Louisiane. L’endroit rêvé pour charmer une James Bond girl !, je me disais en arpentant la jetée (de Chris Marker).

Après un petit tour de reconnaissance en cow-boy solitaire, j’ai passé un coup de fil à des potes qui étaient sur place depuis la veille, et on s’est rendus sur la Piazza Grande, magistralement blanchie par l’immense écran qui la domine le temps du festival. On y a mangé des myrtilles et de la pastèque assis sur les pavés, comme des hippies un peu originaux. Et puis on a acheté des bières, du vin blanc, du pain et du fromage et on a englouti sereinement ce festin de bohème au bord du lac, une guitare à la main, insouciants, à la lueur violette du crépuscule.

Et soudain, les choses se sont emballées. Las de jouer les babas cools, on s’est incrustés, comme la rouille sur la fausse argenterie de ta grand-mère, dans une soirée VIP. – Comment ? Hé, attend un peu, tu crois quoi ? Un  magicien ne divulgue pas tous ses trucs au premier venu, et j’ai plus d’un tour dans mon sac à dos, en plus des éléments susmentionnés. Si bien que je laisse ta pauvre imagination trop souvent en berne faire la besogne à ma place, et peu importe si t’es à côté de la plaque, tout ceci n’est que littérature finalement.
Enfin bref, on s’est trémoussés un moment parmi les invités, et j’ai vu Nathan Hofstetter, dit clip-man, brillant réalisateur, un peu sur le déclin depuis que je ne tiens plus les premiers rôles dans ses courts-métrages, tu m'étonnes ! Ensuite on a mis les voiles vers une garden-party un peu classos, où on s’est fait passer pour de jeunes réalisateurs talentueux (j'ai un petit air de Xavier Dolan) pour aborder une Américaine qui tentait de chouraver un écran plat. Dans la discussion, elle a très justement surnommé George Luke Skywalker, tandis que j’héritais du rôle de Han Solo. J’ai aussi croisé une prof de l’uni, mais tout ça je doute que ça te passionne, alors j’en viens à la suite : la boîte a fermée. Alors, le mot a couru comme quoi il y avait une after à l’hôtel du Belvédère. Ça sentait le plan foireux à des kilomètres, mais j’étais trop pété pour ne pas monter dans le taxi qui s’offrait à moi.
Arrivés sur les hauteurs de la ville endormie, comme je m’en doutais, on a trouvé que dalle, excepté un vigile qui nous a poliment invités à dégager voie 12. C’est là qu’une jeune fille a eu la bonne idée de se mettre en sous-vêtement, tout en nous enjoignant de faire de même. Bref, ça partait sérieusement en cacahuète, et je commençais à me demander ce que je foutais là.
Et le Messie est arrivé. Boris, il a dit qu’il s’appelait. Il avait une bonne gueule, je trouvais, et il a dû penser la même chose de moi (ce qui prouve qu’il avait bon goût), puisque il a déclaré qu’on avait l’air sympatoche et que par conséquent il nous conviait à une after (la fameuse!), qui avait lieu, tiens-toi bien à ton clavier, dans la chambre 308, c’est-à-dire celle d’Olivier père, le directeur artistique du festival, rien que ça. Dans ces conditions, t’imagine bien qu’on s’est pas fait prier pour le suivre, souriant au passage au vigile à la mine déconfite.


L'hôtel Belvédère, the place to be.

Comme dans un film de David Lynch, on s’est retrouvés serrés dans une grande chambre double sans comprendre grand-chose à ce qui nous arrivait. Pour décrire un peu plus la scène, il y avait parmi la foule une bande de jeunes étudiants d’art gays comme des pinsons, deux types à barbe et chemise à carreaux, et le Père du festoche, entouré de deux-trois amis, un genre de Buffalo Bill et une belle brune un peu grande gueule. Les gens riaient, une cigarette dans la main qui ne tenait pas leur coupe de champagne, dans une ambiance bon enfant, pendant qu’un pote piquait dans la corbeille à fruit et que George tapait dans le minibar, à l’aise dans son nouveau rôle de vedette de cinéma. On est restés là un moment à discuter avec un peu tout le monde, sauf le big boss, avant qu’il ne déclare que la fête s’arrêtait là et qu’on regagne enfin le bord du lac, où on avait subtilement repéré une forêt magique formellement interdite au camping, bref, l’endroit idéal pour y planter nos vieilles tentes.
Pendant que je me brossais les dents (on ne rappellera jamais assez l’importance de l’hygiène dentaire) et que le soleil se levait à l’horizon, je laissai George monter sa tente tout seul. Mal m’en a pris ! Sous l’effet de l’alcool et de la fatigue conjugués, il avait réussi à mettre l’entrée de la toile du mauvais côté et se battait vainement pour recouvrir toutes les parties de la moustiquaire, incapable de planter correctement la moindre sardine. De guerre lasse, on s’est finalement roulés à l’intérieur en espérant recevoir une Quechua à Noël, tout en priant pour que Mère Nature, dans son infinie sagesse, veuille bien nous épargner pendant quelques heures au moins ses douces averses d’été dont elles nous arrosaient depuis un début de soirée orageux.

A 11 heures, je me suis levé avec une gueule de bois carabinée et j’ai zoné comme un zombie à la Romero (puisque il faut bien parler un peu de cinéma dans cet article) dans les rues pleines de touristes et de cinéphiles, et j’ai pris le train pour rentrer et surtout dormir encore un peu sur les banquettes, bercé par le roulis mécanique des rails.

Bon, maintenant que tu as eu le courage de me lire jusqu’au bout, entre nous, je peux t’avouer que je n'ai pas vu un seul film. Mais peu importe, j'ai passé une soirée épique et surtout j'ai acheté des tongs léopard, les même que celles que le machiavélique dada m'avait offert il y a quelques années. Mais ça, c'est une autre histoire, et je crois que je t’ai suffisamment fait chier avec ma vie d’errance. Ciao amico !



lundi 9 août 2010

Galactic Hits – la Maison d’Ailleurs


Quand on parle de science-fiction, généralement on pense roman d’anticipation ou film fantastique plutôt que 45 tours. Mais n’en déplaise à H.G. Wells et Spielberg, la Maison d’Ailleurs fait, le temps d’une exposition, la part belle au quatrième art, pas si éloigné qu’on pourrait le croire des mondes futuristes de la SF. Votre génial chroniqueur au rapport:

Un peu hagard, étouffé par l’écrasante chaleur de juillet, je pousse timidement la porte vitrée d’une haute bâtisse et atterri soudain dans un espace lumineux, frais et limpide. Je ne débarque pas dans une autre dimension, ni au rayon charcuterie, mais à la Maison d’Ailleurs, et c’est déjà presque une autre planète, bien qu’on ne soit que dans la vieille ville d’Yverdon. Car en plus de son espace permanent dédié à l’œuvre épatante de feu Jules Verne, le Musée de la science-fiction, de l’utopie et des voyages extraordinaires abrite effectivement des expositions pas comme les autres.



Cet endroit, je n’en connaissais que le nom. C’est donc tel un explorateur à la conquête d’un nouveau monde que je me suis élancé dans les entrailles de l’étrange bicoque, après un accueil très chaleureux du brave gardien de ce temple culturel, je tiens à le dire.
L’expo en question s’intitule Galactic Hits. Sans blague ! Et moi qui croyais naïvement que quand on parlait de succès interplanétaire ou de tube intergalactique, c’était seulement par effet de style. Comme quoi une hyperbole contient toujours une part de vérité.


Mais revenons à la réalité : en sortant de là, des sons venus d’ailleurs (c’est le cas de le dire) pleins les oreilles, encore un peu déboussolé par la vue des pochettes d’album plus psychédéliques les unes que les autres, il faut avouer que j’étais incapable de dire si les Sélénites tel que décrits par tonton Jules Verne aimaient à se dandiner sur les mêmes sonorités répétitives que ta petite sœur et son électro pourave. Par contre, en traversant l’espace dédié à la musique au cinoche, ça m’a rappelé que les petits hommes verts de Mars Attack! faisaient sauter leurs cervelles sous scaphandre à la moindre note d’opéra qui avait l’audace de parvenir jusqu’à leurs esgourdes, ce qui me paraît un peu déplacé de leur part, déjà qu’ils venaient envahir la Terre, à l’heure où on nous bassine avec des questions d’intégration et de tolérance culturelle, non mais franchement. Mais bon, à bien y réfléchir, on peut pas vraiment leur en vouloir aux envahisseurs, malgré leur faute de goût évidente et leur sale gueule manifeste, parce que tu l’avais peut-être oublié, il ne sont au fond que des images de synthèse, lesquelles sont probablement issues d’un programmateur doué mais un peu enveloppé, geek en puissance, grand amateur de films pornos vivant encore chez sa mère, tout comme le scénario a sans doute été torché par un écrivain raté comme moi, sauf que lui a été grassement payé pour une histoire qu’il a bien dû pomper quelque part, puisque tout a déjà été fait de nos jours.
C’est tout ça et bien plus encore qui fait qu’un film a beau te narrer des galaxies fort fort lointaines il y a très très longtemps, c’est en fin de compte le produit d’une certaine culture, qui s’inscrit dans une époque, et donc son reflet en quelque sorte, à condition que tu prennes un peu de recul et ouvre un peu tes mirettes.
Alors, tu me diras, il est beau le reflet de l’humanité que tu peux voir dans ce blockbuster de Tim Burton : des politicards pas foutus de se mettre d’accord, une armée à la ramasse, où même les hippies déclenchent la guerre, pour que finalement tout le monde s’entretuent dans la joie et la bonne humeur, à tel point qu’on dirait que les Hommes ne sont bons qu’à ça. Dans le fond, c’est même ça qui nous différencie de l’animal : la bombe atomique, les guerres de religion et les déchets nucléaire. Ah, il est beau le tableau !
Heureusement, il reste la poésie et le Nutella. La musique aussi, qui sauve humblement notre pauvre petite planète bleue dans le film en question. C’est justement là que l’artiste intervient, car je mets au défi ton hamster nain de pondre un alexandrin capable d’exprimer son état d’âme profond face à la cruauté du monde. Hé oui mon pote, l’art ne sert à rien, si ce n’est nous rendre un peu plus humain. En somme, c’est une sorte de fuite enivrante face à notre misérable existence. Si les mecs se créent des mondes merveilleux, c’est pour mieux échapper à leur vie de merde, isolés qu’ils sont dans leur tour d’ivoire. Mais même leurs utopies tournent fréquemment au vinaigre, parce que pour peu qu’on ait un brin de lucidité, on se rend vite compte qu’un monde parfait, sans emmerdements, ça n’existe même pas en rêve. La seule solution que je vois, ça serait de tirer un trait une fois pour toute sur nos bonnes têtes de vainqueurs, tu vois un peu le portrait !
Voilà grosso-modo la conclusion profonde à laquelle j’en suis arrivé dans l’ICN de 16h04 qui me ramenait au bercail. - Et l’expo dans tout ça ? Oh arrête ! Fait moi pas croire que ça t’intéresse, je sais bien que tu vas jamais aller la voir, et pour cause d’ailleurs, puisqu’elle est terminée depuis le début du mois d’août ! Mais si t’y tiens, je peux quand même t’en dire un peu plus, histoire que tu effleures à peine ce qui t’as filé entre les doigts.



Mis à part la thématique musique-cinéma susmentionnée, on trouvait aussi une salle pleine d’instruments de musique étranges, parmi lesquels des claviers aux allures de tableaux de bord de vaisseaux spatiaux, dont l’invention a offert des nouvelles possibilités aux musiciens en tout genre, comme Kraftwerk, groupe germanique précurseur de l’électro, dont la rigidité et la froideur métronomique ne font guère reculer les bons vieux clichés sur les Allemands. On se croirait dans Metropolis. A l’opposé, on trouve un autre genre de soupe un peu plus dansante, paillette et champagne bon marché. Place à la scène disco gay italienne, que les radios ont eu le bon goût de vite laisser de côté.
Autre fait marquant, la présence d’un thérémine, un des premiers instruments électroniques, inventé en 1919 par l’illustre Lev Sergeïevitch Termen, et qui permet entre autre de recréer le son vibratoire si caractéristique des soucoupes volantes. Ce qu’il y a de fascinant avec ce truc, c’est que l’appareil semble encore aujourd’hui made in Tatooine, tant son fonctionnement relève de la technologie extraterrestre : il suffit d’agiter ses mains au dessus des deux antennes, tel un chef d’orchestre, pour produire un son de trémolo martien à vous glacer le sang. J’ai testé, mais à moins de s’appeler E.T, difficile d’émettre un son potable avec ce truc.
Dans l'ensemble, on est bluffé de découvrir à quel point l’espace intersidéral à pu être source d’inspiration pour toute une époque, et ce du reggae au free jazz, de la musique classique à la pop, à l’heure où le bloc soviétique et la puissante Amérique se disputaient la lune, tandis qu’Hergé y avait déjà planté le drapeau de la valeureuse Belgique de la pointe de son crayon. L’univers, ses trous noirs et ses nébuleuses deviennent alors le lieu de tout les possibles, un infini où chacun peut trouver sa planète idéale, voire une source de métaphores pour les junkies, qui planent de plus en plus haut, ou les amoureux, qu’ils viennent de Mars ou de Vénus.

Can’t you hear me Major Tom ?

Avant Daft Punk et leur série de clips Interstella 5555 inspirée des mangas futuristes comme Albator, on trouve ainsi un tube folk-psychédélique diffusé en 69 sur la BBC en même temps que l’alunissage d’Appolo 11 : Space Oddity, titre qui propulse le mutant David Bowie sur orbite. Le morceau raconte l’histoire d’un jeune astronaute, Major Tom, qui, malgré les appels insistants de la tour de contrôle, décide de rester planer en apesanteur ad vitam æternam. Par la suite, Bowie poussera son fantasme galactique jusqu’à se créer un double venu d’une autre planète, Ziggy Stardust, icône glam rock à l’intelligence supérieure et la philosophie peace and love, sorte de dilettante colorée, créature androgyne de pacotille qui, comme l’aurait rêvé Dalida, mourut sur scène en 1973.



Mais plus que dans les paroles, c’est surtout sur les pochettes d’albums et autres affiches de concerts qu’on retrouve le plus souvent notre SF tant recherchée et son lot de zombies criards. Pas étonnant, vu que, depuis la télévision, le déhanché du King, et la coupe au bol de quatre garçons dans le vent, l’aspect visuel est devenu au moins aussi important que la musique dans l’univers d’un groupe, pour ne pas dire dans l’industrie de la pop music, subitement marketée à outrance. Et là, on se rend compte que les motifs psychédéliques ne sont pas que l’apanage de Jimi Hendrix, et qu’il fût une époque bénie où la lisibilité d’une affiche passait après la création artistique, pour autant qu’on bosse sous acide. On trouve de tout, un peu comme les Pokémons, du gentil papillon-oreille au redoutable tank-tatou en passant par la féroce libellule-éléphant carnivore, le tout dans des décors préhistoriques pour la plupart.
Et sinon, beaucoup de musique à écouter bien sûr. Du lourd, comme Pink Floyd, Frank Zappa, les Beatles époque Yellow Submarine ou plus récemment Muse. Mais aussi des objets plus insolites, ovnis de la scène indie, comme Ben Richter et son orchestre de chambre inspiré par l’infinité du cosmos, ou The Nematoads et leur surf music sortie tout droit des générique de série B de notre enfance. Bref, on trouve de tout, avec néanmoins une tendance générale : la plupart du temps, ça frise l’inécoutable. Clairement, les artistes se placent du côté de l’expérimental, créant un embrouillamini indigeste à la longue mais créatif au possible, qui s’avère souvent assez planant, pour peu qu’on prenne le temps de se laisser emporter.

Finalement, la Maison d’ailleurs remporte un pari qui n’était pas gagné d’avance, étant donné qu’il était question de musique, un médium presque aussi difficile à exposer que du land art (essayez un peu de faire rentrer le pont Neuf de Christo dans un musée !). Et l’expo réussit assez brillamment à illustrer les liens ténus entre SF et musique moderne, retraçant au passage l’histoire de la culture populaire des années 50 à nos jours. On regretta seulement un certain manque de fantaisie (excepté le coin disco) dans la mise en scène et l’absence d’un catalogue d’exposition pour approfondir un sujet qui mériterait plus d’attention.  Et si la musique de film est intelligemment mise en avant, pourquoi ne pas avoir tenté un rapprochement avec l’architecture ou la peinture ?

lundi 26 juillet 2010

The Crazy Family – Sogo Ishii

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Le cinéaste japonais Sogo Ishii était l’invité d’honneur du festival international du film fantastique de Neuchâtel (NIFFF). L’occasion de découvrir en présence du réalisateur des films plus déjantés les uns que les autres, injustement méconnus dans nos contrées, à l’image de The Crazy Family, long-métrage de 1984 dont la seule pellicule 16mm au monde nous a été projetée dans la petite salle du théâtre du passage spécialement aménagée pour l’évènement.

Inutile ici de se détacher des bons vieux clichés : les japonais sont durs à la tâche, à tel point qu’ils finissent souvent par devenir un peu fous, voire kamikazes ou simplement suicidaires. Ce n’est pas Monsieur Ishii qui dira le contraire, qui s’en prend ici à coups de plans rapides sur fond de guitares saturées à une vieille institution censée apporter soutien, bien-être et réconfort, mais qui dans les faits peut vite se muter en un cauchemar inextricable, et pour cause : on ne choisit pas sa famille. Et si The Crazy Family caricature certains pans typiques de la culture nippone, cela n’empêche pas le spectateur du vieux-continent ou d’ailleurs de faire malgré lui des liens avec sa propre vie familiale, tant certaines prises de têtes semblent universellement partagées. Ou comment ceux avec qui vous partagez une bonne partie de patrimoine génétique peuvent soudainement vous apparaître comme des étrangers.



Dans la famille Kobayashi, je voudrais le père: un honnête homme, conciliant au possible, qui se tue au travail pour les siens et fait tout pour leur offrir des conditions de vie meilleures. Ainsi, après des années d’efforts, la famille quitte son HLM trop étroit pour emménager dans un pavillon moderne, symbole de la réussite familiale. Mais passé l’euphorie des premiers jours sous leur nouveau toit, un autre genre de folie contagieuse guette les Kobayashi… Le père assiste impuissant à la montée d’une étrange fièvre qui s’empare de tous: sa femme se met à faire des strip-teases devant les invités, son fils s’enferme nuits et jours dans sa chambre pour réviser, et sa fille rêve de devenir catcheuse professionnelle. Et comme si cela ne suffisait pas, voilà que débarque dans la foulée le grand-père un peu loufoque qui s’incruste dans le nouvel intérieur et tape vite sur les nerfs de tout le monde, à tel point que la famille va en faire le responsable du tohu-bohu ambiant, réclamant son départ imminent. Mais code de l’honneur et valeurs familiales oblige, papa Kobayashi ne peut décemment pas se résoudre à mettre son propre paternel à la porte, et trouve finalement une solution rocambolesque à tout leurs déboires : construire une chambre pour pépé, et ce sous le plancher, la maison étant devenue trop exiguë. C’est ainsi que, sûr de son coup, le père entame le parquet flambant neuf à coups de marteau-piqueur, sans se rendre compte que c’est en vérité le tombeau familial qu’il est en train de creuser. Et que c’est peut-être lui le plus fou de l’histoire. Bref, j’en ai déjà trop dit et laisse aux absents la surprise d’un final pas piqué des vers.

Un peu trop simplement qualifié de « punk », The Crazy Family sonne plus en réalité comme une satire un peu rock’n’roll mais bien ficelée d’une famille à la folie somme toute ordinaire. Alors si vous avez raté la séance du NIFFF parce que vous buviez des Hoegaarden, vous pouvez toujours vous rattraper grâce à la magie d’internet, le film étant disponible en six parties sous-titrées en français sur dailymotion (1 2 3 4 5 6). Yihaa !


lundi 19 juillet 2010

Les eurockéennes de Belfort 2010


La légende Franc-comtoise raconte qu’un weekend par année, les gentilles grenouilles, tritons, martin-pêcheurs, libellules et autres fées du marais fuient la presqu’île du Malsaucy pour faire place à l’étrange rituel d’une horde de dangereux sauvages sans foi ni loi qui chantent, dansent et hurlent leur amour pour la musique. Votre humble chroniqueur s’est joint à la transe pour témoigner.

Rien de tel que The Dead Weather, le supergroupe de Jack White pour lancer les hostilités. Et si c’est bien le leader des White Stripes que tout le monde attendait, c’est finalement la terrible Alison Mosshart qui s’est le plus illustrée. Optant pour son traditionnel jeans cigarette et t-shirt léopard, la charismatique chanteuse des Kills s’est en effet mutée en véritable bête de scène en passant tour à tour du chuchotement sexy au hurlement orgasmique, réussissant ainsi à faire vibrer un public pourtant abasourdi par un cagnard alourdissant. Clope au bec, les cheveux négligemment collés par la sueur sur ses joues, elle symbolisait à elle seule la musique des Dead Wheater, un diamant brut qui prend tout son sens en live, tant leurs albums sonnent comme une jam session ahurissante. Des relents de Rage Against The Machine, en plus sexy.


Mais pas le temps de savourer la dernière chanson, il fallait déjà aller se placer aux premiers rangs pour The Black Keys. La Batterie montée sur le devant de la scène laissait présager une déferlante de rock stoner à faire se pâmer les minettes de quinze piges, supposition confirmée dès les deux premiers morceaux interprétés par l’excellent duo, rejoints au milieu du concert par un bassiste et un clavier pour jouer quelques tubes du nouvel album. Entre racines blues et sonorités modernes, les Black Keys proposent une pop qui tape comme un uppercut dans nos gueules de bois. En témoigne leur récente collaboration avec des rappeurs qui montre bien leur envie d’innover. Un des meilleurs concerts des eurocks, malgré un son pas toujours bien réglé.
Mais mon enthousiasme est retombé comme un soufflé avec Kasabian, dans un set qui manquait cruellement de piquant, à l’image du flegme britannique de leur chanteur, terriblement insipide. Une pâle copie de Liam Gallagher, la classe en moins.
De quoi me laisser perplexe avant la performance de Foals, autre groupe venu tout droit de la perfide Albion à la pop branchouille. Mais la quinquette aux cheveux ondulés s’est montré à la hauteur de l’événement. Avec la reverb poussée au maximum, Foals ont fait bouger Belfort en escaladant les amplis sur un fond très new wave sans être lourd, qui rappelle parfois les MGMT de la première heure.
Charlotte Gainsbourg est définitivement meilleure actrice que chanteuse. Ce qui ne m’a pas empêché d’apprécier quand même un bout de son concert, tant la belle m’avait rendu amoureux dans La science des rêves. Conservant la même voix acidulée qu’en ses débuts incestueux, la fille Gainsbourg a joliment interprété une chanson de papa et une reprise de Bob Dylan, qui figure d’ailleurs sur la BO de I’m Not There.
Pas fan à la base, j’ai quand même jeté un œil au concert de Missy Elliott. Mal m’en a pris. Après vingt minutes de show, miss vulgaire n’avait fait que beugler dans son micro pour tenter de chauffer un public fuyant, esquivant tout de même quelques timides pas de danse accompagnée de créatures fluo sur les quelques secondes de musique que les DJ voulaient bien cracher entre les vociférations de la grosse. Il paraît que le thon est en voie d’extinction, et c’est tant mieux.
The Subs sont le diable, colonel président ! Comprenne qui pourra.


La musique de Sexy Sushi n’est certes pas très recherchée, mais l’ambiance de leurs concerts vaut la peine d’être vécue, n’en déplaise à vos oreilles. Ce n’est pas Diego et ses deux points de suture qui dira le contraire. Ça verse dans le grand n’importe quoi, mais on reste admiratif devant un tel déballage de débilité, et pour cause : la chanteuse finit toujours top less.


Derrière le nom cruciforme des XX ne se cache ni une compagnie de films porno ni une marque de bière mexicaine, mais un ténébreux trio au look gothique. Mais ne vous fiez pas aux apparences, leur musique est douce et épurée. En live, on trouve d’abord que ça manque de peps, puis on prend le temps de se laisser bercer par la ligne de basse qu’on sent vibrer dans nos pieds et les arpèges qui se superposent et on se laisse finalement transporter par les mélodies et les voix qui s’emmêlent. Le son des XX est certes répétitif, toujours dans les mêmes tons, mais dans leur cas il s’agit plutôt à la bonne habitude qu’une sale manie.



Les Hives sont géniaux en concert. Ce lieu commun pour tout festivalier qui se respecte s’est vu une nouvelle fois confirmé, et ce malgré un guitariste remplacé à la dernière minute. Car les Hives n’abandonnent jamais le navire, même dans la tempête qui mouillait la grande scène jusqu’à l’os. Troquant leurs costumes blancs pour de jolies marinières à ponpon, la bande de l’explosif Pelle Almqvist ont balancé leur pop-punk-garage, et c’est à une véritable invasion vikings qu’ont a assisté. Déchainés, les pirates scandinaves ont toujours la même fraîcheur qu’aux premiers jours, mais ce sont toujours les plus vieilles chansons qui convainquent le plus.
Ayant pris une bonne claque avec le premier album des Drums, j’avais pris soin de commencer l’apéro assez tôt pour être à l’heure pour leur concert en fin d’après-midi. Mais sous un soleil de plomb, ces dandys New Yorkais ne sont pas parvenus à conquérir les eurocks. Moins bon que sur CD, le quatuor a trop timidement joué sa power pop, en se contentant de samples pour les backvoices et autres sifflements. Dommage. Trop suffisants, les Drums risquent de ne plus surfer longtemps sur la vague du succès.
Autre grande déception du weekend, Julian Casablancas n’a pas livré un show à la hauteur de son talent. Grippé, le chanteur des Strokes a dû un peu forcé sur l’écaille de poisson avant d’entrer en scène. Un concert en demi-teinte, où l’audacieuse electro-rock aux claviers eighties de son premier album solo n’a pas explosé en live. Un style sans doute trop personnel pour être apprécié de tous, à l’image de son look survêt rouge et mèche décolorée. Mais heureusement pour Julio, son timbre de voix inouï sauve à lui seul un concert et un album à première vue bons pour la trappe.
Enfin, c’est la curieuse tribu de Massive Attack qui se chargeait de terminer le festival sur une bonne note. Un son et lumière étrange et fascinant où de chamaniques chanteurs se sont relayés pour faire rentrer le public dans une transe vertigineuse. Planant, à condition d’avoir un spliff dans le nez.

Conclusion : la programmation des eurocks est toujours aussi bonne, et la bouffe toujours aussi dégueu. Quelques déceptions mais surtout beaucoup de grands moments. Le kiff.

mercredi 30 juin 2010

Les machines de Léonard de Vinci – Muséum d’Histoire naturelle de Neuchâtel


Si vous en avez marre de la Joconde, son sourire niais et sa horde de touristes japonais environnante, allez faire une tour du côté de Neuchâtel, où quelque part entre les rats et les mouches vous pourrez découvrir quelques unes des plus épatantes inventions de l’auteur du portrait de Mona Lisa à travers une expo amusante, dans un musée certes moins coté que le Louvre et pourtant fort sympathique. A voir jusqu’au 1er août 2010.
Qui mieux que Leonardo da Vinci incarne le mythe du génie humaniste de la Renaissance ? Homme d’esprit universel, il était un peu tout à la fois : peintre, philosophe, scientifique, musicien, et même botaniste selon wikipédia. C’est précisément l’une de ces multiples facettes que cette expo se propose d’explorer en plongeant le visiteur dans la genèse de ses plus folles inventions, secrètement compilées dans ses carnets de croquis cryptés. En actionnant vous-même les machines reconstituées pour l’occasion, vous rentrerez pleinement dans l’imaginaire de l’artiste, prenant ainsi toute la mesure de son génie, parvenu par la seule force de son imagination à repousser les limites de son temps.
Précurseur, le petit Léonard avait en effet déjà imaginé en son modeste début de XVIème siècle un prototype de parachute, un mécanisme similaire à celui de votre boîte de vitesse ou encore une sorte d’hélicoptère. Et tout ça grâce à une étonnante maîtrise des lois de la physique, comme les forces de frottement, sur lesquelles vous caliez au lycée, ainsi qu’une bonne dose de créativité, servie par une savante observation de la nature. C’est ce regard, sous lequel le monde qui nous entoure devient source d’inspiration, qui est mis en avant tout au long de l’exposition, en présentant côte à côte chauves-souris et machines volantes, ou autres chars d’assaut et carapace de tortue, ouvrant ainsi le champ à quelques truculentes digressions sous forme d’anecdotes sur la bionique, soit le domaine qui étudie la nature pour faire avancer la science. L’expo tisse ainsi un lien entre Léonard et la technologie de pointe, en prenant des exemples tels que les dernières combinaisons des nageurs professionnels, qui imitent la texture de la peau de requin histoire de faire trempette comme un poisson dans l’eau.
L’eau, c’est justement l’un des thèmes sous lesquels sont cataloguées les diverses inventions, tandis qu’un autre espace est dédié à ses nombreuses machines de guerre, au potentiel économique sans doute plus intéressant pour l’inventeur que ses tentatives de voler, probablement un brin utopiques aux yeux de l’époque. J’ai été bluffé par ses chaussures pour marcher sur l’eau, vénérables ancêtres du ski nautique, ainsi que par la sa bouée, dont la simplicité en fait la réplique exacte de celles que l’on trouve sur les plages aujourd’hui. Dans un registre plus délirant, les sadiques apprécieront sa gigantesque faucheuse pour champ de bataille, qui, comme signale les notes de son concepteur, risquait de faire autant de dégâts chez l’ennemi que dans son propre camp.

Car comme le rappelle fréquemment les textes explicatifs, les machines de Léonard ne fonctionnent pas toujours comme sur des roulettes. On est même quelques fois surpris de découvrir à quel point l’artiste était en avance sur son temps tout en demeurant à la ramasse sur certains points. S’élevant ainsi contre la tendance à l’hagiographie mystificatrice qui entoure le personnage, l’expo intègre intelligemment le fameux vélo qu’on lui a récemment attribué, avant qu’on se rende compte que les dessins en question n’étaient qu’une supercherie. Les phallus gribouillés en marge restent toutefois authentique, ce qui montre que Vinci, sans doute trop bouillonnant d’imagination pour être aussi assidu à la tâche qu’un Michel-Ange, savait aussi déconner. Sautant sans cesse d’une idée à l’autre, l’artiste était peut-être trop occupé à aller de l’avant pour prendre du recul et se rendre compte que son hélico aurait filé un sacré tournis à ses passagers.
En tout cas, après Dan Brown et les tortues ninjas, c’est toujours sympa de retrouver Leonardo dans un musée, sans se prendre la tête pour autant : l’expo s’avère en effet particulièrement fun car pas trop longue, avec plein de trucs à trifouiller, et plutôt bien construite, bien que ma grand-mère n’aie pas toujours compris à quoi pouvaient bien servir toutes les machines exposées malgré les explications. On reste tout le long de la visite bouche bée devant une telle inventivité, confrontés aux confins d’un génie qui nous dépasse encore aujourd’hui.