vendredi 10 septembre 2010

Inception, le plagiat et la pop music : une enquête de l’inspecteur Schmouldu

Après un batman très dark, Christopher Nolan se fait plaisir avec Inception, film d’anticipation qui raconte comment un bandit de haut vol réalise des prouesses de manipulation mentale en s'introduisant dans les rêves d’un individu pour y implanter une idée, tant et si bien qu'au réveil la victime croit la pensée venue d’elle-même.
Alors, pure science-fiction ? Pas si sûr, si on se réfère à un fait divers (et d'hiver) qui remonte à quelques temps déjà :


Décembre 2008 : le guitariste Joe Satriani accuse Coldplay d'avoir plagié une de ses chansons sur leur single Viva la vida, titre phare de leur nouvel album éponyme. La polémique est lancée : les  fans crient au scandale et les vidéos sur le sujet foisonnent vite sur la toile, comme celle-ci, qui permet de comparer les deux morceaux :



Et effectivement, dès la première écoute, pas besoin d’avoir l’oreille absolue pour constater que c'est kif-kif bourricot. L'une à beau être chantée à tue-tête tandis que l'autre est martelée sur une guitare Ibanez, les deux mélodies sont rigoureusement identiques, dans le tempo comme dans les notes. Dès lors, pas étonnant que les deux partis trouvent vite un accord à l'amiable à coup de liasses de billets verts, Coldplay s'épargnant ainsi les désagréments d'un procès retentissant, peu en phase avec leur image bien proprette de boys band mielleux.


Affaire conclue ?  - Non !, s'écrie l'intraitable inspecteur Schmouldu, qu'un apparent paradoxe intrigue dans cette histoire : pourquoi un gentil garçon comme Chris Martin, le charismatique leader de Coldpay, qui a déjà largement prouvé ses talents d'auteur-compositeur avec tout de même plus de quarante millions d'albums vendus, irait-t-il bêtement piquer le riff d'un guitariste franchement ringard au risque évident de faire éclater un scandale ?

L'affaire ne tient pas debout, et on y perd notre latin, ce qui est bien dommage, car ça fait toujours classe de placer une locution dans une langue morte quand on veut briller en société, et ça permet parfois d'avancer, la preuve en sept lettres : cui bono ?
Finalement, le crime ne profite qu'à un seul, le mystérieux Joe Satriani, inconnu au bataillon jusqu'à ce que cette étrange affaire de plagiat le révèle au grand jour, lui offrant soudain une excellente publicité pendant qu’il s’en met plein les fouilles, tout en redorant son image auprès du public en passant pour un vrai, un dur, à côté de ces pop stars à la noix sans scrupules. Alors que moi, Joe, je suis peut-être chauve et moche, n'empêche que j'envoie des solos de guitares de malade à la pelle, pas comme ces pédales de rosbifs, et même que je suis trop rock'n'roll, t'as qu'à voir j'ai tout le temps des lunettes de soleil, comme Philippe Manoeuvre,, et j’ai même des tatouages, si c’est pas la classe ça, alors achetez mes cd, bordel !
Joe Satriani, volé ou voleur ?

Bref, le mobile tenait la route, mais l’arme du crime échappait encore au flair pourtant redoutable de l’inspecteur : l’affaire trainait, et Schmouldu perdait au fil des mois sa crédibilité pourtant légendaire auprès de ses collègues. Mais le vieux bougre ne lâchait pas prise pour autant. La vie lui avait appris que pour résoudre un problème, il vaut parfois mieux s’en extraire. Prendre de la distance. Se vider la tête. Et pour ça, rien de tel qu’un bon polar, ou, mieux, une séance de cinéma. Bingo ! Toujours judicieux dans ses choix, l’inspecteur Schmouldu décide un soir d’aller voir Inception plutôt que The Expendables, et naturellement, il fait vite le lien entre le film et l’objet de son marasme : en manque de reconnaissance, Satriani aurait engagé l'espion onirique Cobb (Leonardo Di Caprio) et sa barbichette naissante pour qu'il opère sa fameuse inception sur la personne de Chris Martin, afin que le pauvre garçon se réveille un beau matin persuadé d'avoir trouvé une mélodie qui déchire grave pour son nouvel album. Ainsi fait, l’infâme Joe n'avait plus qu'à attendre que le nouveau tube ne soit diffusé sur toutes les radios avant de porter plainte pour plagiat en prenant bien soin d'avertir la presse, passant ainsi du statut de musicien raté à celui de héros de l'ombre injustement bafoué, tout en ruinant au passage la carrière d'un rival potentiel.
- Beau travail, Joe ! Mais dommage pour toi, l'inspecteur Schmouldu a brillamment déjoué ton plan diabolique, et Coldplay a sorti un album live pour faire oublier cette incartade peu reluisante. Mais ne t'en fais pas mon vieux, tu auras tout le loisir de composer encore pour les autres… Derrière les barreaux ! Le rire machiavélique de circonstance devenant ici, une fois n’est pas coutume, l’apanage du gentil.

Et pour ceux qui ne voudrait pas croire à l'accablante démonstration de notre cher inspecteur, j'apporte ici d'autres arguments pour la défense de Coldplay, non pas que je les porte spécialement dans mon cœur, loin de là, mais je pense que si il y a bien une victime dans l’histoire, c’est eux, et vous aller voir pourquoi.

S’il ne s’agit pas d’une inception, ni de plagiat délibéré, il est fort possible que Chris Martin soit en proie à la cryptomnésie, mot tellement savant que même le correcteur de word ne le connaît pas. Il s’agit d’un phénomène plus courant qu’on ne le pense, qui a pour conséquence de faire ressortir une idée trouvée on ne sait plus trop où, en pensant qu’elle vient de soi. Ce biais cognitif constitue d’ailleurs un des sujets de fond du roman de Douglas Kennedy Rien ne va plus, où un scénariste de génie voit sa carrière ruinée par la critique pour un vulgaire gag inconsciemment pompé sur un autre film.
Ensuite, il suffit de faire appel à l’Histoire pour se rendre compte que Coldplay ne sont pas les premiers à avoir copié sur les autres. Ca arrive même aux meilleurs : George Harrison a ainsi eu le malheur de perdre un procès pour avoir repris (malgré lui ?) l’air d’un tube rythm & blues, ce qui n’a pas empêché My Sweet Lord d’obtenir un succès retentissant encore parfois sur nos radios. Et il peut être aussi bon de rappeler que les Beach Boys ont fait tourner les mêmes accords que Chuck Berry sur Surfin’ USA, et ce sans que le grand public s’en offense. Et la palme revient sans doute au grand Elvis, qui après avoir allégrement piqué dans la musique afro-américaine, a eu le culot de déclarer que les blacks n’étaient bons qu’à cirer ses godasses. A moins qu’il ne s’agisse de son frère jumeau diabolique, mais ça c’est une autre histoire

Dans les trois cas, les morceaux ne sont pas totalement similaires, mais suffisamment proches pour être suspectés de pompage en bonne et due forme. Mais où est la limite entre le plagiat et l’influence, où commence le vol et se termine la référence ? Un musicien doit-il vraiment travailler les oreilles bouchées ?


Comme le montre cette vidéo, les exemples de chansons similaires sont légion, à tel point qu’on ne peut décemment pas conclure au plagiat à chaque fois. J’y vois plutôt le fruit du hasard, cet arbre un peu taquin qui fait si bien les choses qu’elles finissent parfois par se ressembler. Parce qu’on ne peut pas inventer plus de notes qu’il n’en existe, et que pour que nos oreilles en feuilles de chou s’y retrouvent, on suit logiquement certains schémas qui ont déjà faits leurs preuves. Par exemple, rien ne ressemble plus à une chanson de rockabilly que du rock à Billy. Tout simplement parce qu’on ne fait pas de gâteau sans sucre, si on veut que ça reste bouffable. Dans la pop music, les mêmes structures (couplet-pont-refrain), et la même base d’instruments (guitare-basse-batterie) se répètent depuis plus d’un demi-siècle, et on se contente d’apporter un minimum de variation dans les arrangements au gré des modes et des progrès technologiques. La recette n’a rien de nouveau, c’est toujours la même soupe, mais elle est bonne, alors pourquoi changer ? C’est dans les vieilles galtouses qu’on fait les meilleurs plats. Alors oui, c’est un peu facile, mais les jeunes aiment ça.
En fait, comme dirait Baschi, la pop, c’est le fast-food de la musique. Un peu cheap et écœurant. Mais qui ne va jamais au Mac do ?

Et pour conclure sur une note récurrente qui corrobore mon propos, je donnerais l'exemple des accords magiques, une simple progression de quatre notes que suivent invariablement les plus grands titres pop depuis le King jusqu’à nos jours : James Blunt, Alicia Keys, Mika, les Black Eyed Peas, les Red Hot Chili Peppers, Maroon 5, U2, les Beatles, Michael Jackson, Elton John, The Offspring, Bob Marley, Green Day. Beyonce, Pink, la cauchemardesque Lady Gaga et MGMT, pour ne citer qu’eux, enchainent tous les mêmes accords pour composer des tubes planétaires, comme vous pouvez le voir ci-dessous, et ce sans que ça ne choque personne.



En fait, les accords dits magiques suivent la règle du 1-5-6-4, qui constitue l'enchainement mélodique le plus simple, ce qui fait que ça sonne tout de suite bien à l'oreille, et que tout le monde l'utilise. Alors bien sûr, toute la musique populaire ne se limite pas à Mi - Si - Do#m - La, mais de toute manière le peuple ne demande pas de savantes cantates pour se dandiner au rythme d’un orchestre symphonique, mais un arrangement basique et efficace pour se déhancher toute la nuit sans réfléchir au lendemain, où tout le monde aura la gueule de bois, sans que personne n'accuse personne de plagiat pour avoir bu autant de tequila que lui, et c'est très bien comme ça.