mardi 25 mai 2010

The Black keys - Brothers


Ils sont deux mais ils font beaucoup de bruit. Ils s’appellent les Black Keys et ils viennent de sortir un nouvel album.

Après l’excellent Attack & Release (2008), on s’attendait à ce que le duo revienne plus fort que jamais. Il n’en n’est rien.
Sans passer à côté non plus, Dan Auerbach et Patrick Carney nous offrent un album toute en retenue, mais toujours empreint d’un son brut et garage d’une géniale simplicité qui est leur propre. Moins sombres, moins énervés qu’à leur habitude, les Black Keys se permettent même quelques détours originaux pour nous faire découvrir des territoires musicaux inattendus de la part de ces deux bûcherons de l’Amérique profonde.
Ce qui choque dès le premier morceau, c’est la voix trop aigue du chanteur qu’on ne connaissait guère que rauque et caverneuse. Deuxième surprise : une seconde voix, féminine cette fois, qui vient agréablement se mêler à celle du leader lors de certains passages. On apprécierait toutefois mieux ses accents soul si elle ne se faisait pas si discrète et monotone. La tentative, trop sage, vaut le détour mais n’a pas l’impact des claviers psychédéliques du dernier opus. On appréciera plutôt la rythmique complexe de la batterie, riche en descentes de toms, qui rappelle un peu les tambours africains de Vampire Weekend.

Ce clip plein d’autodérision vaut le détour.

La quinzaine de chansons s’enchaînent plutôt bien, et les racines blues du groupe résonnent tout au long d’une galette de très bon niveau. Toutefois, le nombre de titres généreux ne vient pas combler le manque de morceaux vraiment poignants. On ne retrouve pas la même force de percussion que sur Strange Times ou Girl Is On My Mind, même si Next Girl, Tighten Up et Howlin’ For You ne passe pas loin du coche.
Les Black Keys seraient-ils devenus un peu trop blasés ? Brothers sonne plus comme une entente fraternelle, ou même les bagarres ne parviennent pas à entraver l’amour éternel qu’il y a derrière.
Léger, l’album se déguste frais, comme un gaspacho. Idéal pour l’été, à écouter au soleil avec une bière à la main et des filles en maillot de bain.

vendredi 21 mai 2010

Picasso - Le pigeon aux petits pois



Dans la nuit du 19 au 20 mai 2010, cinq tableaux du Musée d’art moderne de la ville de Paris on été volés. La valeur du butin est jugée inestimable (on parle de 500 millions d’euros), mais il y a peu de chance que les chefs-d’œuvre trouvent preneurs, même sur les marchés de l’art les plus véreux.
Dès lors, l’auteur de cet odieux méfait serait-il un amoureux de l’art kleptomane et égoïste, ou faut-il y voir l’œuvre d’un simple pigeon qui n’a eu qu’à briser une vitre et casser un cadenas pour accéder à un trésor trop gros pour lui ?

Parmi les toiles de cinq grands maîtres du début du siècle dernier se trouve un Picasso dont l’apparente absurdité de l’intitulé provoqua en moi une curiosité que je ne pu réfréner. Il me fallait découvrir ce que pouvait bien signifier ce pigeon au petits pois.


Pablo Picasso, Le pigeon aux petits pois, 1911.

Quel lien pouvait-il bien y avoir entre ce stupide volatile et des légumes verts ? La princesse d’Andersen jouait-elle un rôle dans tout ça ?
De prime abord, la contemplation du tableau cubiste ne me fut pas d’une grande aide. Aussi interrogeai-je Google en tapant rapidement l’énigmatique titre, synonyme de mes tourments. Soudain, je me retrouvai face à face avec des dizaines de recettes de cuisine, et tout devint clair : le pigeon et les petits pois prenaient tout leur sens une fois cuits et servis dans une assiette.
Dans ma haine immodérée pour ce détestable animal, il ne m’était pas venu à l’esprit que l’on pouvait consommer ce qui restait pour moi un poison, un véritable parasite urbain, à qui je foutais des coups de lattes quand j’étais jeune et encore assez fou pour me battre pour un idéal. Grâce au génie de Picasso et au coup de pouce d’un brigand, ce drôle d’oiseau trouvait enfin une utilité : on pouvait s’en délecter bardé de lard et assaisonné avec de l’estragon, du thym et du laurier, comme l’indiquait une appétissante recette notée 5/5 par les internautes.
Je me plongeai à nouveau dans la toile, et tout devint clair : La scène se déroulait dans un café. Je parvenais à distinguer la forme arrondie de la table d’un bistrot parisien, la moustache du serveur en haut, un verre qui se lève à droite, un visage visiblement pas convaincu par le plat qu’on lui sert à gauche, et, au milieu de tout ça, sous la menace d’un grand couteau, une masse difforme et aplatie en guise de plat du jour, le dindon de la farce, une patte en l’air, majestueusement accompagné de cinq petits pois bien alignés.
L’épisode avait été éclaté en mille morceaux, comme un miroir brisé, ou un souvenir fragmenté, recomposé tant bien que mal en une toile d’araignée brunâtre offrant une multiplicité de points de vue éparpillés. Mais pour peu qu’on sache lire entre les lignes, le patchwork demeurait reconnaissable.
Restait à éclaircir le mystère du vol. A défaut de trouver un mobile qui tienne la route, je conclus que les voleurs devaient avoir un petit pois à la place de la cervelle. A moins que ça ne soit l’œuvre des affranchis, un redoutable gang de pigeons mafieux qui sévissait dans les dessins-animés de mon enfance.


On aurait bien besoin du chandelier de la nature morte de Fernand Léger, un autre des cinq tableaux volés, pour faire la lumière sur cette affaire.

Et puis, après tout, je n’avais que faire de ce cambriolage. Les pigeons ne sont que des rats volants, voleurs. Et à présents volés. C’est mérité. J’ai en horreur leur air niais et craintif, leur façon de bouger la tête par à coups, leurs petites pattes violacées et atrophiées. Pas besoin de Süskind pour me mettre au parfum, j’haïs jusqu’au reflet turquoise de leur ramage et leur roucoulement mièvre. Ils sont la racaille de la place Saint-Marc et Saint-François. Rapaces, ils mangent vos miettes et vous les chient sur la tête.
Alors, pourquoi se priver de les manger ? Plus que de la cruauté, il faut y voir un acte généreux : ce serait pour eux un salut des plus nobles après une vie si ingrate passée à emmerder le monde. Et à n’en pas douter une bonne volaille, pour autant qu’on l’accompagne de quelques petits pois.

mercredi 5 mai 2010

concert - The Brian Jonestown Massacre


Après bientôt 20 ans d’enregistrements home made et de tournées chaotiques dans les salles crasseuses du monde entier, loin, le plus loin possible des maisons de disques et des plateaux télés, les BJM peuvent bel et bien s’afficher comme les derniers gardiens de cette musique diabolique qu’on appelle vulgairement rock’n’roll. Drogues, bastons, membres du groupe virés à tour de bras : tout y passe, tant et si bien que la meute d’Anton Newcombe s’est forgée une réputation de vrais durs. Des purs-sangs. Des loups garous au milieu de Disneyland. Restait à vérifier le mythe en live. Car, tel saint Thomas, je ne crois que ce que je vois.

Après quelques heures de train et un ou deux litres de bière dans le sang, me voilà enfin à l’abart de Zurich, petite salle sombre à la scène large, sans barrière, idéale pour la tempête qui s’annonce. Après une première partie quelconque, la foule s’amasse aux premiers rangs avant que les fauves n’entrent en scène, tranquilles, complices et sûr d’eux. Le concert commence sans un mot, mais quelle puissance ! Pas moins de huit gaillards s’alignent face à nous, quatre guitares, une basse, une batterie, un clavier et l’immanquable Mr Tambourine Man, mon préféré. Alors forcément, ça vous prend aux tripes au fur et à mesure que les riffs se répètent et que le rythme s’accentue. Mais les BJM restent très sobres, tout en retenue.
Confiné dans un coin de la scène, ses cheveux masquant son visage, Anton, dont le perfectionnisme frise la paranoïa, réaccorde méthodiquement sa guitare à l’oreille tout les deux morceaux, tandis que le groupe, légèrement soumis, attend patiemment le signal du boss. A côté de lui se tient son frère rival, Matt Hollywood, éternel Poulidor du groupe, dont la pop trash et naïve, plus percutante que les ballades de Newcombe, n’est pas considérée à sa juste valeur. Il est pourtant une pièce indispensable à l’équilibre de la machine, au même titre que l’excentrique Joel Gion, placé au centre de la scène, tel le leader d’un boys band, avec pour seule arme un ridicule tambourin et son air niais. Le pauvre type qu’on avait découvert dans Dig! passera tout le concert les yeux dans le vague à taper en rythme sans jamais donner un coup de trop. Totalement décalé, il contribue mine de rien à créer ce fond sonore lancinant si caractéristique du groupe, sans doute plus que l’armada de guitares, j’en donnerai pour preuve un des guitaristes, qui, bien que disparu au milieu du concert, n'a rien changé à la mécanique bien rouillée du groupe.
D’un calme apathique, les mecs se permettront quand même quelques gorgées de bières et une ou deux blagues pour le public une fois le concert bien lancé, puis se contenteront de taper un peu du pied et de s’allumer une clope entre deux morceaux, histoire de la laisser se consumer entre la corde de mi et celle de la pendant le titre suivant. Lentement mais sûrement, la mayonnaise prend et ne retombera pas : deux heures de concert où les tubes s’enchaînent : Anemone, Not If You Were The Last Dandy On Earth, Oh Lord… Un pur plaisir ! On regrettera seulement que Newcombe, qui prétend tout de même savoir jouer plus de 80 instruments, se cantonne à la guitare et n’empoigne même pas un harmonica pour entonner la ballade de Jimi Jones. Mais bon, on va pas se plaindre, surtout que les types ont eu la sagesse de laisser de côté leur dernier album en demi-teinte pour nous offrir un grand moment de psychédélisme pur et dur. Sans écart mais intense.