Dans la nuit du 19 au 20 mai 2010, cinq tableaux du Musée d’art moderne de la ville de Paris on été volés. La valeur du butin est jugée inestimable (on parle de 500 millions d’euros), mais il y a peu de chance que les chefs-d’œuvre trouvent preneurs, même sur les marchés de l’art les plus véreux.
Dès lors, l’auteur de cet odieux méfait serait-il un amoureux de l’art kleptomane et égoïste, ou faut-il y voir l’œuvre d’un simple pigeon qui n’a eu qu’à briser une vitre et casser un cadenas pour accéder à un trésor trop gros pour lui ?
Parmi les toiles de cinq grands maîtres du début du siècle dernier se trouve un Picasso dont l’apparente absurdité de l’intitulé provoqua en moi une curiosité que je ne pu réfréner. Il me fallait découvrir ce que pouvait bien signifier ce pigeon au petits pois.
Pablo Picasso, Le pigeon aux petits pois, 1911.
Quel lien pouvait-il bien y avoir entre ce stupide volatile et des légumes verts ? La princesse d’Andersen jouait-elle un rôle dans tout ça ?
De prime abord, la contemplation du tableau cubiste ne me fut pas d’une grande aide. Aussi interrogeai-je Google en tapant rapidement l’énigmatique titre, synonyme de mes tourments. Soudain, je me retrouvai face à face avec des dizaines de recettes de cuisine, et tout devint clair : le pigeon et les petits pois prenaient tout leur sens une fois cuits et servis dans une assiette.
Dans ma haine immodérée pour ce détestable animal, il ne m’était pas venu à l’esprit que l’on pouvait consommer ce qui restait pour moi un poison, un véritable parasite urbain, à qui je foutais des coups de lattes quand j’étais jeune et encore assez fou pour me battre pour un idéal. Grâce au génie de Picasso et au coup de pouce d’un brigand, ce drôle d’oiseau trouvait enfin une utilité : on pouvait s’en délecter bardé de lard et assaisonné avec de l’estragon, du thym et du laurier, comme l’indiquait une appétissante recette notée 5/5 par les internautes.
Je me plongeai à nouveau dans la toile, et tout devint clair : La scène se déroulait dans un café. Je parvenais à distinguer la forme arrondie de la table d’un bistrot parisien, la moustache du serveur en haut, un verre qui se lève à droite, un visage visiblement pas convaincu par le plat qu’on lui sert à gauche, et, au milieu de tout ça, sous la menace d’un grand couteau, une masse difforme et aplatie en guise de plat du jour, le dindon de la farce, une patte en l’air, majestueusement accompagné de cinq petits pois bien alignés.
L’épisode avait été éclaté en mille morceaux, comme un miroir brisé, ou un souvenir fragmenté, recomposé tant bien que mal en une toile d’araignée brunâtre offrant une multiplicité de points de vue éparpillés. Mais pour peu qu’on sache lire entre les lignes, le patchwork demeurait reconnaissable.
Restait à éclaircir le mystère du vol. A défaut de trouver un mobile qui tienne la route, je conclus que les voleurs devaient avoir un petit pois à la place de la cervelle. A moins que ça ne soit l’œuvre des affranchis, un redoutable gang de pigeons mafieux qui sévissait dans les dessins-animés de mon enfance.
On aurait bien besoin du chandelier de la nature morte de Fernand Léger, un autre des cinq tableaux volés, pour faire la lumière sur cette affaire.
Et puis, après tout, je n’avais que faire de ce cambriolage. Les pigeons ne sont que des rats volants, voleurs. Et à présents volés. C’est mérité. J’ai en horreur leur air niais et craintif, leur façon de bouger la tête par à coups, leurs petites pattes violacées et atrophiées. Pas besoin de Süskind pour me mettre au parfum, j’haïs jusqu’au reflet turquoise de leur ramage et leur roucoulement mièvre. Ils sont la racaille de la place Saint-Marc et Saint-François. Rapaces, ils mangent vos miettes et vous les chient sur la tête.
Alors, pourquoi se priver de les manger ? Plus que de la cruauté, il faut y voir un acte généreux : ce serait pour eux un salut des plus nobles après une vie si ingrate passée à emmerder le monde. Et à n’en pas douter une bonne volaille, pour autant qu’on l’accompagne de quelques petits pois.
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