lundi 26 septembre 2011

Le NIFFF, ou la fiction du documentaire


Avec Festi’neuch, il constitue désormais un des événements les plus attendus par les braves Neuchâtelois avides de culture et d’ivresse : le NIFFF[1], un festival de film fantastique qui allie astucieusement l’underground au populaire, et ne cesse de s’agrandir au fil des éditions.
Contrairement au fiasco de Locarno l’année dernière (voir l’article), votre intrépide chroniqueur a consenti à décoller du bar du festival[2] le temps de quelques séances plus délirantes les unes que les autres. Review :


Commençons par un film qui reflète parfaitement l’esprit du festoche : HOUSE, un navet japonais (et non pas un chou chinois) de 1977, tourné façon série Z, curieuse parodie des pires films d’horreur. Un tas de jeunes filles débarquent dans une maison hantée où les pastèques se changent en têtes humaines, tandis que des doigts crochus jouent du piano tout seuls, avant qu’un chat maléfique referme les portes du manoir soudain inondé par un liquide rouge...  Gratuit et jubilatoire ! Avec inclus l’éclairage effet couché de soleil éternel, les fonds mal peints aux couleurs criardes et le ventilateur secouant les cheveux des pin-up. Hommage ou critique des films de genre, difficile de trancher.


Pas mal aussi, mais plus glauque, WE NEED TO TALK ABOUT KEVIN. Une mère ne parvient pas à élever correctement son fils, qui le lui rend bien, puisqu’il finira par se muter en serial killer façon elephant, à l’âge où d’autres se contentent de drogues et de grossesses non-désirées.
La question de fond que pose le film : naît-on psychopathe, ou le devient-on en écrasant méthodiquement ses corn-flakes du bout de sa cuillère chaque matin ? Là encore, la question reste ouverte.


Et pour les amateurs de mangas, on recommandera plutôt l’éloquent KARATE-ROBO ZABORGAR.
Ici tout est dans le titre, et bien plus encore : une moto-goldorak comme dans vos rêves les plus fous, un adolescent sans peur ni reproche, et un monstre-diarrhée pas piqué des vers. Inutile de vous dire que les geeks dans la salle ont poussé des cris d’excitation dès les premières séquences.


Et comment ne pas évoquer le terrible THE VIOLENT KIND, mon coup de cœur de cette année, porté par un jeu d’acteur impressionnant, dans une intrigue dérangeante où se mêlent gangs de motards, extraterrestres, morts-vivants, beuveries et coups de couteau, le tout dans une atmosphère étrangement sixties qui n’est pas sans rappeler tonton Tarantino.


Enfin, arrêtons-nous sur le vainqueur du prix principal de cette année : THE TROLL HUNTER, film norvégien tourné façon Blair Witch Project, sans grande prétention, mais plutôt bien foutu et franchement rigolo.
En cherchant à tourner un documentaire sur un chasseur de troll, des jeunes cinéastes amateurs découvrent pourquoi il ne fait pas bon d’être chrétien la nuit dans les forêts scandinaves. On y apprend aussi que les pylônes électriques qui gâchent le paysage dans les zones inhabitées servent en réalité à garder en cage des géants mangeurs de cailloux.
Un texte d’introduction nous présente le film comme ayant été retrouvé abandonné comme tel sur les traces d’un carnage. Il s’agit en réalité d’une fiction tournée volontairement dans un style documentaire, l’effet de réel étant censé provoquer paradoxalement l’immersion du spectateur dans l’histoire, qui paraît soudain plus plausible à ses yeux. C’est un vieux truc bien connu des cinéastes qui se plaisent à voyager à cheval entre deux genres qu’on oppose un peu trop facilement, comme ce bon vieux Jean Rouch dont les docufictions ont été récemment encensés au festival de films de Fribourg, ou encore le virulent Peter Watkins et ses films d’anticipation, pseudo-documentaires qui reflètent pourtant une certaine réalité sociale.


Documentaire vs fiction ? L’histoire ne date pas d’hier. Dès les débuts du cinéma, on a opposé les vues des frères Lumière aux trucages de Georges Méliès, comme s’il existait deux manières de faire des films, l’une objective, captant la réalité, tandis que l’autre servirait à divertir le public en lui offrant un spectacle inédit, si possible éloigné de son triste quotidien. Mais les campagnes de propagande des régimes totalitaires ont prouvé qu’on pouvait faire dire tout ce qu’on voulait aux images. En ce sens, un documentaire n’est jamais le reflet exact de la réalité, mais une reconstruction subjective d’une certaine vision du réel. Et il suffit de regarder Capital ou Enquête exclusive pour se rendre compte à quel point on peut utiliser les codes de la fiction dans un reportage classique, notamment en terme de suspense et de mise en scène.  A l’inverse, on peut très bien faire une lecture documentaire d’un film de fiction, comme le sociologue Siegfried Krakauer avec Le cabinet du docteur Caligari (R. Wiene, 1919), qu’il analyse pour mieux comprendre l’Allemagne de la république de Weimar[3].

Continuons sur cette lignée en comparant le NIFFF à son supposé rival, le festival nyonnais Visions du réel, qui ne présente que des films classés documentaires. Et bien j’ai fréquenté les deux festivals cette année sans ressentir de grande différence dans les films présentés, même sur le plan narratif. En fait, la forme des films varie énormément d’une projection à l’autre, si bien qu’on pourrait penser que s’il existe encore des règles de l’art sur la façon de faire un film d’horreur ou une comédie musicale, elles ne sont faites que pour être rejouées, détournées ou enfreintes par les cinéastes. A ce titre, j’ai même souvent trouvé plus innovants les films proposés aux Visions du réel, alors qu’on a tendance à considérer le documentaire comme un genre ennuyeux et rébarbatif. Reste à signaler que de son côté, le NIFFF inaugurait une nouvelle section, films of the third kind, illustrant ainsi parfaitement l’idée qu’il devient bien difficile de ranger un film dans telle ou telle catégorie, si ce n’est en se basant sur des critères temporels ou géographiques.

Alors où se situe la limite entre documentaire et fiction ? La question ne se pose finalement peut-être pas à ce niveau-là. On peut tout au plus identifier deux idéaux, deux pôles impossibles à atteindre, formant toutefois un axe sur lequel les films se positionneraient. Mais ça, c’est déjà de la fiction.


[1] A ne pas confondre avec son homonyme, le poignant Neuchâtel Fist-Fucking Festival.
[2] Rassurez-vous, j’avais de quoi tenir le coup dans mon sac.
[3] De Caligari à Hitler : une histoire psychologique du cinéma allemand, L’Age d’Homme, 1973, ou comment citer des livres qu’on a jamais lu.

samedi 18 juin 2011

The Tree Of Life - Terrence Malick


L'ami Terry réussit l'exploit de nous refourger une scène avec des dinosaures au milieu d'un film psychologique sur une histoire de famille, et cela sans que ça nous paraisse trop bizarre.
Avec en prime un plan sur une tranche de jambon-méduse, franchement ça vaut le détour !

lundi 31 janvier 2011

Dye It Blonde - Smith Westerns

Ils sont quatre et ils ont l’âge de mon petit frère. Ils débarquent de Chicago et ils ont fait la première partie de GIRLS lors de leur dernière tournée. Et voici qu’ils viennent de sortir un album qui vous fera danser tout seul dans votre cuisine.


Les Smith Westerns, je les connaissais seulement par quelques vidéos qui buzzaient sur la toile. En fait, les mecs avaient déjà enregistré un LP dans leur cave, dont le spectre sonore très lo-fi laissait entendre un sens inné de la mélodie dissimulé derrière un brouhaha de guitares saturées de reverb (Girl In love, Be My Girl). Bref, un agréable mélange de sonorités garage et d’envolées pop qui les a rapidement fait passer du bal de promo aux tournées effrénées dans toute l’Amérique. On attendait plus que l’album, le vrai, pour voir si les gamins avaient la carrure pour tenir la longueur.


Et à la première écoute, c’est l’effet kiss cool, on se sent envahit par un vent de fraîcheur infini. On n’avait pas connu ça depuis le dernier MGMT. Les tubes s’enchaînent sans temps mort, les refrains font taper du pied, et la structure des morceaux réserve quelques bonnes surprises. On assiste à une déferlante d’échos dont ressort surtout une ligne de chant qui fait penser à Beach House en moins chiant (Fallen In Love), ainsi qu’une guitare solo omniprésente, qui imite parfois la voix de tête pour mieux s’en détacher à la mesure suivante (Imagine, pt. 3), le tout sur un fond de clavier et de chœurs un tantinet mielleux qui contribue à l’étonnante impression de légèreté dégagée par l’ensemble du CD, pur et fragile comme un papillon tout juste sorti de son cocon.
Ça en serait presque écoeurant, si ce n’était pas parfaitement assumé et mine de rien plus profond que ça en a l’air. Les Smith Westerns ont cette incroyable capacité à dire les choses avec une simplicité ingénue : Everybody wants to be a star on saturday night; Weekends are never fun unless you’re around here too;  All die young…
En soi, une poésie qu’on ne retrouve que gravée sur les arbres de la cour de récré. Bref, rien d’autre dans les textes que les saines préoccupations de tout adolescent qui se respecte, à savoir les filles et les weekends bien arrosés. Oui mais voilà, tout cela est chanté avec la terrifiante mélancolie d’une jeunesse post-moderne trop désabusée par le divorce de ses parents, la guerre en Irak et le porno sur Internet pour croire en autre chose que l’amour sans lendemain.
Il faut voir cet album comme les traces d’une utopie qui n’aura jamais d’autre existence qu’en format MP3.


Plus imaginatifs que les Drums, moins barbapapa que les Magic Kids, les Smith Westerns s’inscrivent finalement bien dans cette nouvelle scène indé américaine qui propose un rock à tendance androgyne, enfin libéré de ce détestable besoin beauf de prouver sa virilité qui obture trop souvent le devant de la scène. Espérons simplement que le guitariste se paye une nouvelle pédale d’effet avec les bénéfices, et alors qui sait à quel cri du cœur nous assisterons la prochaine fois.