Avec Festi’neuch, il constitue désormais un des événements les plus
attendus par les braves Neuchâtelois avides de culture et d’ivresse : le NIFFF[1], un
festival de film fantastique qui allie astucieusement l’underground au populaire,
et ne cesse de s’agrandir au fil des éditions.
Contrairement au fiasco de Locarno l’année dernière (voir
l’article), votre intrépide chroniqueur a consenti à décoller du bar du
festival[2] le
temps de quelques séances plus délirantes les unes que les autres.
Review :
Commençons par un film qui reflète
parfaitement l’esprit du festoche : HOUSE, un navet
japonais (et non pas un chou chinois) de 1977, tourné façon série Z, curieuse
parodie des pires films d’horreur. Un tas de jeunes filles débarquent dans une
maison hantée où les pastèques se changent en têtes humaines, tandis que
des doigts crochus jouent du piano tout seuls, avant qu’un chat maléfique
referme les portes du manoir soudain inondé par un liquide rouge... Gratuit et jubilatoire ! Avec inclus
l’éclairage effet couché de soleil éternel, les fonds mal peints aux couleurs
criardes et le ventilateur secouant les cheveux des pin-up. Hommage ou critique
des films de genre, difficile de trancher.
Pas mal aussi, mais plus glauque, WE NEED TO
TALK ABOUT KEVIN. Une mère ne parvient pas à élever correctement son
fils, qui le lui rend bien, puisqu’il finira par se muter en serial killer
façon elephant, à
l’âge où d’autres se contentent de drogues et de grossesses non-désirées.
La question de fond que pose le
film : naît-on psychopathe, ou le devient-on en écrasant méthodiquement
ses corn-flakes du bout de sa cuillère chaque matin ? Là encore, la question
reste ouverte.
Et pour les amateurs de mangas,
on recommandera plutôt l’éloquent KARATE-ROBO ZABORGAR.
Ici tout est dans le titre, et
bien plus encore : une moto-goldorak comme dans vos rêves les plus fous,
un adolescent sans peur ni reproche, et un monstre-diarrhée pas piqué des vers.
Inutile de vous dire que les geeks dans la salle ont poussé des cris
d’excitation dès les premières séquences.
Et comment ne pas évoquer le
terrible THE VIOLENT KIND, mon coup de cœur de cette année, porté par un jeu
d’acteur impressionnant, dans une intrigue dérangeante où se mêlent gangs de
motards, extraterrestres, morts-vivants, beuveries et coups de couteau, le tout
dans une atmosphère étrangement sixties qui n’est pas sans rappeler tonton Tarantino.
Enfin, arrêtons-nous sur le
vainqueur du prix principal de cette année : THE TROLL HUNTER, film
norvégien tourné façon Blair
Witch Project, sans grande prétention, mais plutôt bien foutu et franchement
rigolo.
En cherchant à tourner un
documentaire sur un chasseur de troll, des jeunes cinéastes amateurs découvrent
pourquoi il ne fait pas bon d’être chrétien la nuit dans les forêts
scandinaves. On y apprend aussi que les pylônes électriques qui gâchent le
paysage dans les zones inhabitées servent en réalité à garder en cage des
géants mangeurs de cailloux.
Un texte d’introduction nous
présente le film comme ayant été retrouvé abandonné comme tel sur les traces
d’un carnage. Il s’agit en réalité d’une fiction tournée volontairement dans un
style documentaire, l’effet de réel étant censé provoquer paradoxalement
l’immersion du spectateur dans l’histoire, qui paraît soudain plus plausible à
ses yeux. C’est un vieux truc bien connu des cinéastes qui se plaisent à voyager
à cheval entre deux genres qu’on oppose un peu trop facilement, comme ce bon
vieux Jean Rouch dont les
docufictions ont été récemment
encensés au festival de films de Fribourg, ou
encore le virulent Peter
Watkins et ses films d’anticipation, pseudo-documentaires qui reflètent
pourtant une certaine réalité sociale.
Documentaire vs fiction ?
L’histoire ne date pas d’hier. Dès les débuts du cinéma, on a opposé les vues
des frères Lumière aux trucages de Georges Méliès, comme
s’il existait deux manières de faire des films, l’une objective, captant la
réalité, tandis que l’autre servirait à divertir le public en lui offrant un
spectacle inédit, si possible éloigné de son triste quotidien. Mais les
campagnes de propagande des régimes totalitaires ont prouvé qu’on pouvait faire
dire tout ce qu’on voulait aux images. En ce sens, un documentaire n’est jamais
le reflet exact de la réalité, mais une reconstruction subjective d’une
certaine vision du réel. Et il suffit de regarder Capital ou Enquête exclusive
pour se rendre compte à quel point on peut utiliser les codes de la fiction
dans un reportage classique, notamment en terme de suspense et de mise en
scène. A l’inverse, on peut très bien
faire une lecture documentaire d’un film de fiction, comme le sociologue Siegfried
Krakauer avec Le cabinet
du docteur Caligari (R. Wiene, 1919), qu’il analyse pour mieux comprendre
l’Allemagne de la république de Weimar[3].
Continuons sur cette lignée en
comparant le NIFFF à son supposé rival, le festival nyonnais Visions du réel, qui ne présente que
des films classés documentaires. Et bien j’ai fréquenté les deux festivals cette
année sans ressentir de grande différence dans les films présentés, même sur le
plan narratif. En fait, la forme des films varie énormément d’une projection à
l’autre, si bien qu’on pourrait penser que s’il existe encore des règles de
l’art sur la façon de faire un film d’horreur ou une comédie musicale, elles ne
sont faites que pour être rejouées, détournées ou enfreintes par les cinéastes.
A ce titre, j’ai même souvent trouvé plus innovants les films proposés aux Visions
du réel, alors qu’on a tendance à considérer le documentaire comme un genre
ennuyeux et rébarbatif. Reste à signaler que de son côté, le NIFFF inaugurait
une nouvelle section, films of the third
kind, illustrant ainsi parfaitement l’idée qu’il devient bien difficile de
ranger un film dans telle ou telle catégorie, si ce n’est en se basant sur des
critères temporels ou géographiques.
Alors où se situe la limite entre
documentaire et fiction ? La question ne se pose finalement peut-être pas
à ce niveau-là. On peut tout au plus identifier deux idéaux, deux pôles
impossibles à atteindre, formant toutefois un axe sur lequel les films se
positionneraient. Mais ça, c’est déjà de la fiction.