lundi 9 août 2010

Galactic Hits – la Maison d’Ailleurs


Quand on parle de science-fiction, généralement on pense roman d’anticipation ou film fantastique plutôt que 45 tours. Mais n’en déplaise à H.G. Wells et Spielberg, la Maison d’Ailleurs fait, le temps d’une exposition, la part belle au quatrième art, pas si éloigné qu’on pourrait le croire des mondes futuristes de la SF. Votre génial chroniqueur au rapport:

Un peu hagard, étouffé par l’écrasante chaleur de juillet, je pousse timidement la porte vitrée d’une haute bâtisse et atterri soudain dans un espace lumineux, frais et limpide. Je ne débarque pas dans une autre dimension, ni au rayon charcuterie, mais à la Maison d’Ailleurs, et c’est déjà presque une autre planète, bien qu’on ne soit que dans la vieille ville d’Yverdon. Car en plus de son espace permanent dédié à l’œuvre épatante de feu Jules Verne, le Musée de la science-fiction, de l’utopie et des voyages extraordinaires abrite effectivement des expositions pas comme les autres.



Cet endroit, je n’en connaissais que le nom. C’est donc tel un explorateur à la conquête d’un nouveau monde que je me suis élancé dans les entrailles de l’étrange bicoque, après un accueil très chaleureux du brave gardien de ce temple culturel, je tiens à le dire.
L’expo en question s’intitule Galactic Hits. Sans blague ! Et moi qui croyais naïvement que quand on parlait de succès interplanétaire ou de tube intergalactique, c’était seulement par effet de style. Comme quoi une hyperbole contient toujours une part de vérité.


Mais revenons à la réalité : en sortant de là, des sons venus d’ailleurs (c’est le cas de le dire) pleins les oreilles, encore un peu déboussolé par la vue des pochettes d’album plus psychédéliques les unes que les autres, il faut avouer que j’étais incapable de dire si les Sélénites tel que décrits par tonton Jules Verne aimaient à se dandiner sur les mêmes sonorités répétitives que ta petite sœur et son électro pourave. Par contre, en traversant l’espace dédié à la musique au cinoche, ça m’a rappelé que les petits hommes verts de Mars Attack! faisaient sauter leurs cervelles sous scaphandre à la moindre note d’opéra qui avait l’audace de parvenir jusqu’à leurs esgourdes, ce qui me paraît un peu déplacé de leur part, déjà qu’ils venaient envahir la Terre, à l’heure où on nous bassine avec des questions d’intégration et de tolérance culturelle, non mais franchement. Mais bon, à bien y réfléchir, on peut pas vraiment leur en vouloir aux envahisseurs, malgré leur faute de goût évidente et leur sale gueule manifeste, parce que tu l’avais peut-être oublié, il ne sont au fond que des images de synthèse, lesquelles sont probablement issues d’un programmateur doué mais un peu enveloppé, geek en puissance, grand amateur de films pornos vivant encore chez sa mère, tout comme le scénario a sans doute été torché par un écrivain raté comme moi, sauf que lui a été grassement payé pour une histoire qu’il a bien dû pomper quelque part, puisque tout a déjà été fait de nos jours.
C’est tout ça et bien plus encore qui fait qu’un film a beau te narrer des galaxies fort fort lointaines il y a très très longtemps, c’est en fin de compte le produit d’une certaine culture, qui s’inscrit dans une époque, et donc son reflet en quelque sorte, à condition que tu prennes un peu de recul et ouvre un peu tes mirettes.
Alors, tu me diras, il est beau le reflet de l’humanité que tu peux voir dans ce blockbuster de Tim Burton : des politicards pas foutus de se mettre d’accord, une armée à la ramasse, où même les hippies déclenchent la guerre, pour que finalement tout le monde s’entretuent dans la joie et la bonne humeur, à tel point qu’on dirait que les Hommes ne sont bons qu’à ça. Dans le fond, c’est même ça qui nous différencie de l’animal : la bombe atomique, les guerres de religion et les déchets nucléaire. Ah, il est beau le tableau !
Heureusement, il reste la poésie et le Nutella. La musique aussi, qui sauve humblement notre pauvre petite planète bleue dans le film en question. C’est justement là que l’artiste intervient, car je mets au défi ton hamster nain de pondre un alexandrin capable d’exprimer son état d’âme profond face à la cruauté du monde. Hé oui mon pote, l’art ne sert à rien, si ce n’est nous rendre un peu plus humain. En somme, c’est une sorte de fuite enivrante face à notre misérable existence. Si les mecs se créent des mondes merveilleux, c’est pour mieux échapper à leur vie de merde, isolés qu’ils sont dans leur tour d’ivoire. Mais même leurs utopies tournent fréquemment au vinaigre, parce que pour peu qu’on ait un brin de lucidité, on se rend vite compte qu’un monde parfait, sans emmerdements, ça n’existe même pas en rêve. La seule solution que je vois, ça serait de tirer un trait une fois pour toute sur nos bonnes têtes de vainqueurs, tu vois un peu le portrait !
Voilà grosso-modo la conclusion profonde à laquelle j’en suis arrivé dans l’ICN de 16h04 qui me ramenait au bercail. - Et l’expo dans tout ça ? Oh arrête ! Fait moi pas croire que ça t’intéresse, je sais bien que tu vas jamais aller la voir, et pour cause d’ailleurs, puisqu’elle est terminée depuis le début du mois d’août ! Mais si t’y tiens, je peux quand même t’en dire un peu plus, histoire que tu effleures à peine ce qui t’as filé entre les doigts.



Mis à part la thématique musique-cinéma susmentionnée, on trouvait aussi une salle pleine d’instruments de musique étranges, parmi lesquels des claviers aux allures de tableaux de bord de vaisseaux spatiaux, dont l’invention a offert des nouvelles possibilités aux musiciens en tout genre, comme Kraftwerk, groupe germanique précurseur de l’électro, dont la rigidité et la froideur métronomique ne font guère reculer les bons vieux clichés sur les Allemands. On se croirait dans Metropolis. A l’opposé, on trouve un autre genre de soupe un peu plus dansante, paillette et champagne bon marché. Place à la scène disco gay italienne, que les radios ont eu le bon goût de vite laisser de côté.
Autre fait marquant, la présence d’un thérémine, un des premiers instruments électroniques, inventé en 1919 par l’illustre Lev Sergeïevitch Termen, et qui permet entre autre de recréer le son vibratoire si caractéristique des soucoupes volantes. Ce qu’il y a de fascinant avec ce truc, c’est que l’appareil semble encore aujourd’hui made in Tatooine, tant son fonctionnement relève de la technologie extraterrestre : il suffit d’agiter ses mains au dessus des deux antennes, tel un chef d’orchestre, pour produire un son de trémolo martien à vous glacer le sang. J’ai testé, mais à moins de s’appeler E.T, difficile d’émettre un son potable avec ce truc.
Dans l'ensemble, on est bluffé de découvrir à quel point l’espace intersidéral à pu être source d’inspiration pour toute une époque, et ce du reggae au free jazz, de la musique classique à la pop, à l’heure où le bloc soviétique et la puissante Amérique se disputaient la lune, tandis qu’Hergé y avait déjà planté le drapeau de la valeureuse Belgique de la pointe de son crayon. L’univers, ses trous noirs et ses nébuleuses deviennent alors le lieu de tout les possibles, un infini où chacun peut trouver sa planète idéale, voire une source de métaphores pour les junkies, qui planent de plus en plus haut, ou les amoureux, qu’ils viennent de Mars ou de Vénus.

Can’t you hear me Major Tom ?

Avant Daft Punk et leur série de clips Interstella 5555 inspirée des mangas futuristes comme Albator, on trouve ainsi un tube folk-psychédélique diffusé en 69 sur la BBC en même temps que l’alunissage d’Appolo 11 : Space Oddity, titre qui propulse le mutant David Bowie sur orbite. Le morceau raconte l’histoire d’un jeune astronaute, Major Tom, qui, malgré les appels insistants de la tour de contrôle, décide de rester planer en apesanteur ad vitam æternam. Par la suite, Bowie poussera son fantasme galactique jusqu’à se créer un double venu d’une autre planète, Ziggy Stardust, icône glam rock à l’intelligence supérieure et la philosophie peace and love, sorte de dilettante colorée, créature androgyne de pacotille qui, comme l’aurait rêvé Dalida, mourut sur scène en 1973.



Mais plus que dans les paroles, c’est surtout sur les pochettes d’albums et autres affiches de concerts qu’on retrouve le plus souvent notre SF tant recherchée et son lot de zombies criards. Pas étonnant, vu que, depuis la télévision, le déhanché du King, et la coupe au bol de quatre garçons dans le vent, l’aspect visuel est devenu au moins aussi important que la musique dans l’univers d’un groupe, pour ne pas dire dans l’industrie de la pop music, subitement marketée à outrance. Et là, on se rend compte que les motifs psychédéliques ne sont pas que l’apanage de Jimi Hendrix, et qu’il fût une époque bénie où la lisibilité d’une affiche passait après la création artistique, pour autant qu’on bosse sous acide. On trouve de tout, un peu comme les Pokémons, du gentil papillon-oreille au redoutable tank-tatou en passant par la féroce libellule-éléphant carnivore, le tout dans des décors préhistoriques pour la plupart.
Et sinon, beaucoup de musique à écouter bien sûr. Du lourd, comme Pink Floyd, Frank Zappa, les Beatles époque Yellow Submarine ou plus récemment Muse. Mais aussi des objets plus insolites, ovnis de la scène indie, comme Ben Richter et son orchestre de chambre inspiré par l’infinité du cosmos, ou The Nematoads et leur surf music sortie tout droit des générique de série B de notre enfance. Bref, on trouve de tout, avec néanmoins une tendance générale : la plupart du temps, ça frise l’inécoutable. Clairement, les artistes se placent du côté de l’expérimental, créant un embrouillamini indigeste à la longue mais créatif au possible, qui s’avère souvent assez planant, pour peu qu’on prenne le temps de se laisser emporter.

Finalement, la Maison d’ailleurs remporte un pari qui n’était pas gagné d’avance, étant donné qu’il était question de musique, un médium presque aussi difficile à exposer que du land art (essayez un peu de faire rentrer le pont Neuf de Christo dans un musée !). Et l’expo réussit assez brillamment à illustrer les liens ténus entre SF et musique moderne, retraçant au passage l’histoire de la culture populaire des années 50 à nos jours. On regretta seulement un certain manque de fantaisie (excepté le coin disco) dans la mise en scène et l’absence d’un catalogue d’exposition pour approfondir un sujet qui mériterait plus d’attention.  Et si la musique de film est intelligemment mise en avant, pourquoi ne pas avoir tenté un rapprochement avec l’architecture ou la peinture ?

lundi 26 juillet 2010

The Crazy Family – Sogo Ishii

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Le cinéaste japonais Sogo Ishii était l’invité d’honneur du festival international du film fantastique de Neuchâtel (NIFFF). L’occasion de découvrir en présence du réalisateur des films plus déjantés les uns que les autres, injustement méconnus dans nos contrées, à l’image de The Crazy Family, long-métrage de 1984 dont la seule pellicule 16mm au monde nous a été projetée dans la petite salle du théâtre du passage spécialement aménagée pour l’évènement.

Inutile ici de se détacher des bons vieux clichés : les japonais sont durs à la tâche, à tel point qu’ils finissent souvent par devenir un peu fous, voire kamikazes ou simplement suicidaires. Ce n’est pas Monsieur Ishii qui dira le contraire, qui s’en prend ici à coups de plans rapides sur fond de guitares saturées à une vieille institution censée apporter soutien, bien-être et réconfort, mais qui dans les faits peut vite se muter en un cauchemar inextricable, et pour cause : on ne choisit pas sa famille. Et si The Crazy Family caricature certains pans typiques de la culture nippone, cela n’empêche pas le spectateur du vieux-continent ou d’ailleurs de faire malgré lui des liens avec sa propre vie familiale, tant certaines prises de têtes semblent universellement partagées. Ou comment ceux avec qui vous partagez une bonne partie de patrimoine génétique peuvent soudainement vous apparaître comme des étrangers.



Dans la famille Kobayashi, je voudrais le père: un honnête homme, conciliant au possible, qui se tue au travail pour les siens et fait tout pour leur offrir des conditions de vie meilleures. Ainsi, après des années d’efforts, la famille quitte son HLM trop étroit pour emménager dans un pavillon moderne, symbole de la réussite familiale. Mais passé l’euphorie des premiers jours sous leur nouveau toit, un autre genre de folie contagieuse guette les Kobayashi… Le père assiste impuissant à la montée d’une étrange fièvre qui s’empare de tous: sa femme se met à faire des strip-teases devant les invités, son fils s’enferme nuits et jours dans sa chambre pour réviser, et sa fille rêve de devenir catcheuse professionnelle. Et comme si cela ne suffisait pas, voilà que débarque dans la foulée le grand-père un peu loufoque qui s’incruste dans le nouvel intérieur et tape vite sur les nerfs de tout le monde, à tel point que la famille va en faire le responsable du tohu-bohu ambiant, réclamant son départ imminent. Mais code de l’honneur et valeurs familiales oblige, papa Kobayashi ne peut décemment pas se résoudre à mettre son propre paternel à la porte, et trouve finalement une solution rocambolesque à tout leurs déboires : construire une chambre pour pépé, et ce sous le plancher, la maison étant devenue trop exiguë. C’est ainsi que, sûr de son coup, le père entame le parquet flambant neuf à coups de marteau-piqueur, sans se rendre compte que c’est en vérité le tombeau familial qu’il est en train de creuser. Et que c’est peut-être lui le plus fou de l’histoire. Bref, j’en ai déjà trop dit et laisse aux absents la surprise d’un final pas piqué des vers.

Un peu trop simplement qualifié de « punk », The Crazy Family sonne plus en réalité comme une satire un peu rock’n’roll mais bien ficelée d’une famille à la folie somme toute ordinaire. Alors si vous avez raté la séance du NIFFF parce que vous buviez des Hoegaarden, vous pouvez toujours vous rattraper grâce à la magie d’internet, le film étant disponible en six parties sous-titrées en français sur dailymotion (1 2 3 4 5 6). Yihaa !


lundi 19 juillet 2010

Les eurockéennes de Belfort 2010


La légende Franc-comtoise raconte qu’un weekend par année, les gentilles grenouilles, tritons, martin-pêcheurs, libellules et autres fées du marais fuient la presqu’île du Malsaucy pour faire place à l’étrange rituel d’une horde de dangereux sauvages sans foi ni loi qui chantent, dansent et hurlent leur amour pour la musique. Votre humble chroniqueur s’est joint à la transe pour témoigner.

Rien de tel que The Dead Weather, le supergroupe de Jack White pour lancer les hostilités. Et si c’est bien le leader des White Stripes que tout le monde attendait, c’est finalement la terrible Alison Mosshart qui s’est le plus illustrée. Optant pour son traditionnel jeans cigarette et t-shirt léopard, la charismatique chanteuse des Kills s’est en effet mutée en véritable bête de scène en passant tour à tour du chuchotement sexy au hurlement orgasmique, réussissant ainsi à faire vibrer un public pourtant abasourdi par un cagnard alourdissant. Clope au bec, les cheveux négligemment collés par la sueur sur ses joues, elle symbolisait à elle seule la musique des Dead Wheater, un diamant brut qui prend tout son sens en live, tant leurs albums sonnent comme une jam session ahurissante. Des relents de Rage Against The Machine, en plus sexy.


Mais pas le temps de savourer la dernière chanson, il fallait déjà aller se placer aux premiers rangs pour The Black Keys. La Batterie montée sur le devant de la scène laissait présager une déferlante de rock stoner à faire se pâmer les minettes de quinze piges, supposition confirmée dès les deux premiers morceaux interprétés par l’excellent duo, rejoints au milieu du concert par un bassiste et un clavier pour jouer quelques tubes du nouvel album. Entre racines blues et sonorités modernes, les Black Keys proposent une pop qui tape comme un uppercut dans nos gueules de bois. En témoigne leur récente collaboration avec des rappeurs qui montre bien leur envie d’innover. Un des meilleurs concerts des eurocks, malgré un son pas toujours bien réglé.
Mais mon enthousiasme est retombé comme un soufflé avec Kasabian, dans un set qui manquait cruellement de piquant, à l’image du flegme britannique de leur chanteur, terriblement insipide. Une pâle copie de Liam Gallagher, la classe en moins.
De quoi me laisser perplexe avant la performance de Foals, autre groupe venu tout droit de la perfide Albion à la pop branchouille. Mais la quinquette aux cheveux ondulés s’est montré à la hauteur de l’événement. Avec la reverb poussée au maximum, Foals ont fait bouger Belfort en escaladant les amplis sur un fond très new wave sans être lourd, qui rappelle parfois les MGMT de la première heure.
Charlotte Gainsbourg est définitivement meilleure actrice que chanteuse. Ce qui ne m’a pas empêché d’apprécier quand même un bout de son concert, tant la belle m’avait rendu amoureux dans La science des rêves. Conservant la même voix acidulée qu’en ses débuts incestueux, la fille Gainsbourg a joliment interprété une chanson de papa et une reprise de Bob Dylan, qui figure d’ailleurs sur la BO de I’m Not There.
Pas fan à la base, j’ai quand même jeté un œil au concert de Missy Elliott. Mal m’en a pris. Après vingt minutes de show, miss vulgaire n’avait fait que beugler dans son micro pour tenter de chauffer un public fuyant, esquivant tout de même quelques timides pas de danse accompagnée de créatures fluo sur les quelques secondes de musique que les DJ voulaient bien cracher entre les vociférations de la grosse. Il paraît que le thon est en voie d’extinction, et c’est tant mieux.
The Subs sont le diable, colonel président ! Comprenne qui pourra.


La musique de Sexy Sushi n’est certes pas très recherchée, mais l’ambiance de leurs concerts vaut la peine d’être vécue, n’en déplaise à vos oreilles. Ce n’est pas Diego et ses deux points de suture qui dira le contraire. Ça verse dans le grand n’importe quoi, mais on reste admiratif devant un tel déballage de débilité, et pour cause : la chanteuse finit toujours top less.


Derrière le nom cruciforme des XX ne se cache ni une compagnie de films porno ni une marque de bière mexicaine, mais un ténébreux trio au look gothique. Mais ne vous fiez pas aux apparences, leur musique est douce et épurée. En live, on trouve d’abord que ça manque de peps, puis on prend le temps de se laisser bercer par la ligne de basse qu’on sent vibrer dans nos pieds et les arpèges qui se superposent et on se laisse finalement transporter par les mélodies et les voix qui s’emmêlent. Le son des XX est certes répétitif, toujours dans les mêmes tons, mais dans leur cas il s’agit plutôt à la bonne habitude qu’une sale manie.



Les Hives sont géniaux en concert. Ce lieu commun pour tout festivalier qui se respecte s’est vu une nouvelle fois confirmé, et ce malgré un guitariste remplacé à la dernière minute. Car les Hives n’abandonnent jamais le navire, même dans la tempête qui mouillait la grande scène jusqu’à l’os. Troquant leurs costumes blancs pour de jolies marinières à ponpon, la bande de l’explosif Pelle Almqvist ont balancé leur pop-punk-garage, et c’est à une véritable invasion vikings qu’ont a assisté. Déchainés, les pirates scandinaves ont toujours la même fraîcheur qu’aux premiers jours, mais ce sont toujours les plus vieilles chansons qui convainquent le plus.
Ayant pris une bonne claque avec le premier album des Drums, j’avais pris soin de commencer l’apéro assez tôt pour être à l’heure pour leur concert en fin d’après-midi. Mais sous un soleil de plomb, ces dandys New Yorkais ne sont pas parvenus à conquérir les eurocks. Moins bon que sur CD, le quatuor a trop timidement joué sa power pop, en se contentant de samples pour les backvoices et autres sifflements. Dommage. Trop suffisants, les Drums risquent de ne plus surfer longtemps sur la vague du succès.
Autre grande déception du weekend, Julian Casablancas n’a pas livré un show à la hauteur de son talent. Grippé, le chanteur des Strokes a dû un peu forcé sur l’écaille de poisson avant d’entrer en scène. Un concert en demi-teinte, où l’audacieuse electro-rock aux claviers eighties de son premier album solo n’a pas explosé en live. Un style sans doute trop personnel pour être apprécié de tous, à l’image de son look survêt rouge et mèche décolorée. Mais heureusement pour Julio, son timbre de voix inouï sauve à lui seul un concert et un album à première vue bons pour la trappe.
Enfin, c’est la curieuse tribu de Massive Attack qui se chargeait de terminer le festival sur une bonne note. Un son et lumière étrange et fascinant où de chamaniques chanteurs se sont relayés pour faire rentrer le public dans une transe vertigineuse. Planant, à condition d’avoir un spliff dans le nez.

Conclusion : la programmation des eurocks est toujours aussi bonne, et la bouffe toujours aussi dégueu. Quelques déceptions mais surtout beaucoup de grands moments. Le kiff.

mercredi 30 juin 2010

Les machines de Léonard de Vinci – Muséum d’Histoire naturelle de Neuchâtel


Si vous en avez marre de la Joconde, son sourire niais et sa horde de touristes japonais environnante, allez faire une tour du côté de Neuchâtel, où quelque part entre les rats et les mouches vous pourrez découvrir quelques unes des plus épatantes inventions de l’auteur du portrait de Mona Lisa à travers une expo amusante, dans un musée certes moins coté que le Louvre et pourtant fort sympathique. A voir jusqu’au 1er août 2010.
Qui mieux que Leonardo da Vinci incarne le mythe du génie humaniste de la Renaissance ? Homme d’esprit universel, il était un peu tout à la fois : peintre, philosophe, scientifique, musicien, et même botaniste selon wikipédia. C’est précisément l’une de ces multiples facettes que cette expo se propose d’explorer en plongeant le visiteur dans la genèse de ses plus folles inventions, secrètement compilées dans ses carnets de croquis cryptés. En actionnant vous-même les machines reconstituées pour l’occasion, vous rentrerez pleinement dans l’imaginaire de l’artiste, prenant ainsi toute la mesure de son génie, parvenu par la seule force de son imagination à repousser les limites de son temps.
Précurseur, le petit Léonard avait en effet déjà imaginé en son modeste début de XVIème siècle un prototype de parachute, un mécanisme similaire à celui de votre boîte de vitesse ou encore une sorte d’hélicoptère. Et tout ça grâce à une étonnante maîtrise des lois de la physique, comme les forces de frottement, sur lesquelles vous caliez au lycée, ainsi qu’une bonne dose de créativité, servie par une savante observation de la nature. C’est ce regard, sous lequel le monde qui nous entoure devient source d’inspiration, qui est mis en avant tout au long de l’exposition, en présentant côte à côte chauves-souris et machines volantes, ou autres chars d’assaut et carapace de tortue, ouvrant ainsi le champ à quelques truculentes digressions sous forme d’anecdotes sur la bionique, soit le domaine qui étudie la nature pour faire avancer la science. L’expo tisse ainsi un lien entre Léonard et la technologie de pointe, en prenant des exemples tels que les dernières combinaisons des nageurs professionnels, qui imitent la texture de la peau de requin histoire de faire trempette comme un poisson dans l’eau.
L’eau, c’est justement l’un des thèmes sous lesquels sont cataloguées les diverses inventions, tandis qu’un autre espace est dédié à ses nombreuses machines de guerre, au potentiel économique sans doute plus intéressant pour l’inventeur que ses tentatives de voler, probablement un brin utopiques aux yeux de l’époque. J’ai été bluffé par ses chaussures pour marcher sur l’eau, vénérables ancêtres du ski nautique, ainsi que par la sa bouée, dont la simplicité en fait la réplique exacte de celles que l’on trouve sur les plages aujourd’hui. Dans un registre plus délirant, les sadiques apprécieront sa gigantesque faucheuse pour champ de bataille, qui, comme signale les notes de son concepteur, risquait de faire autant de dégâts chez l’ennemi que dans son propre camp.

Car comme le rappelle fréquemment les textes explicatifs, les machines de Léonard ne fonctionnent pas toujours comme sur des roulettes. On est même quelques fois surpris de découvrir à quel point l’artiste était en avance sur son temps tout en demeurant à la ramasse sur certains points. S’élevant ainsi contre la tendance à l’hagiographie mystificatrice qui entoure le personnage, l’expo intègre intelligemment le fameux vélo qu’on lui a récemment attribué, avant qu’on se rende compte que les dessins en question n’étaient qu’une supercherie. Les phallus gribouillés en marge restent toutefois authentique, ce qui montre que Vinci, sans doute trop bouillonnant d’imagination pour être aussi assidu à la tâche qu’un Michel-Ange, savait aussi déconner. Sautant sans cesse d’une idée à l’autre, l’artiste était peut-être trop occupé à aller de l’avant pour prendre du recul et se rendre compte que son hélico aurait filé un sacré tournis à ses passagers.
En tout cas, après Dan Brown et les tortues ninjas, c’est toujours sympa de retrouver Leonardo dans un musée, sans se prendre la tête pour autant : l’expo s’avère en effet particulièrement fun car pas trop longue, avec plein de trucs à trifouiller, et plutôt bien construite, bien que ma grand-mère n’aie pas toujours compris à quoi pouvaient bien servir toutes les machines exposées malgré les explications. On reste tout le long de la visite bouche bée devant une telle inventivité, confrontés aux confins d’un génie qui nous dépasse encore aujourd’hui.

mardi 25 mai 2010

The Black keys - Brothers


Ils sont deux mais ils font beaucoup de bruit. Ils s’appellent les Black Keys et ils viennent de sortir un nouvel album.

Après l’excellent Attack & Release (2008), on s’attendait à ce que le duo revienne plus fort que jamais. Il n’en n’est rien.
Sans passer à côté non plus, Dan Auerbach et Patrick Carney nous offrent un album toute en retenue, mais toujours empreint d’un son brut et garage d’une géniale simplicité qui est leur propre. Moins sombres, moins énervés qu’à leur habitude, les Black Keys se permettent même quelques détours originaux pour nous faire découvrir des territoires musicaux inattendus de la part de ces deux bûcherons de l’Amérique profonde.
Ce qui choque dès le premier morceau, c’est la voix trop aigue du chanteur qu’on ne connaissait guère que rauque et caverneuse. Deuxième surprise : une seconde voix, féminine cette fois, qui vient agréablement se mêler à celle du leader lors de certains passages. On apprécierait toutefois mieux ses accents soul si elle ne se faisait pas si discrète et monotone. La tentative, trop sage, vaut le détour mais n’a pas l’impact des claviers psychédéliques du dernier opus. On appréciera plutôt la rythmique complexe de la batterie, riche en descentes de toms, qui rappelle un peu les tambours africains de Vampire Weekend.

Ce clip plein d’autodérision vaut le détour.

La quinzaine de chansons s’enchaînent plutôt bien, et les racines blues du groupe résonnent tout au long d’une galette de très bon niveau. Toutefois, le nombre de titres généreux ne vient pas combler le manque de morceaux vraiment poignants. On ne retrouve pas la même force de percussion que sur Strange Times ou Girl Is On My Mind, même si Next Girl, Tighten Up et Howlin’ For You ne passe pas loin du coche.
Les Black Keys seraient-ils devenus un peu trop blasés ? Brothers sonne plus comme une entente fraternelle, ou même les bagarres ne parviennent pas à entraver l’amour éternel qu’il y a derrière.
Léger, l’album se déguste frais, comme un gaspacho. Idéal pour l’été, à écouter au soleil avec une bière à la main et des filles en maillot de bain.

vendredi 21 mai 2010

Picasso - Le pigeon aux petits pois



Dans la nuit du 19 au 20 mai 2010, cinq tableaux du Musée d’art moderne de la ville de Paris on été volés. La valeur du butin est jugée inestimable (on parle de 500 millions d’euros), mais il y a peu de chance que les chefs-d’œuvre trouvent preneurs, même sur les marchés de l’art les plus véreux.
Dès lors, l’auteur de cet odieux méfait serait-il un amoureux de l’art kleptomane et égoïste, ou faut-il y voir l’œuvre d’un simple pigeon qui n’a eu qu’à briser une vitre et casser un cadenas pour accéder à un trésor trop gros pour lui ?

Parmi les toiles de cinq grands maîtres du début du siècle dernier se trouve un Picasso dont l’apparente absurdité de l’intitulé provoqua en moi une curiosité que je ne pu réfréner. Il me fallait découvrir ce que pouvait bien signifier ce pigeon au petits pois.


Pablo Picasso, Le pigeon aux petits pois, 1911.

Quel lien pouvait-il bien y avoir entre ce stupide volatile et des légumes verts ? La princesse d’Andersen jouait-elle un rôle dans tout ça ?
De prime abord, la contemplation du tableau cubiste ne me fut pas d’une grande aide. Aussi interrogeai-je Google en tapant rapidement l’énigmatique titre, synonyme de mes tourments. Soudain, je me retrouvai face à face avec des dizaines de recettes de cuisine, et tout devint clair : le pigeon et les petits pois prenaient tout leur sens une fois cuits et servis dans une assiette.
Dans ma haine immodérée pour ce détestable animal, il ne m’était pas venu à l’esprit que l’on pouvait consommer ce qui restait pour moi un poison, un véritable parasite urbain, à qui je foutais des coups de lattes quand j’étais jeune et encore assez fou pour me battre pour un idéal. Grâce au génie de Picasso et au coup de pouce d’un brigand, ce drôle d’oiseau trouvait enfin une utilité : on pouvait s’en délecter bardé de lard et assaisonné avec de l’estragon, du thym et du laurier, comme l’indiquait une appétissante recette notée 5/5 par les internautes.
Je me plongeai à nouveau dans la toile, et tout devint clair : La scène se déroulait dans un café. Je parvenais à distinguer la forme arrondie de la table d’un bistrot parisien, la moustache du serveur en haut, un verre qui se lève à droite, un visage visiblement pas convaincu par le plat qu’on lui sert à gauche, et, au milieu de tout ça, sous la menace d’un grand couteau, une masse difforme et aplatie en guise de plat du jour, le dindon de la farce, une patte en l’air, majestueusement accompagné de cinq petits pois bien alignés.
L’épisode avait été éclaté en mille morceaux, comme un miroir brisé, ou un souvenir fragmenté, recomposé tant bien que mal en une toile d’araignée brunâtre offrant une multiplicité de points de vue éparpillés. Mais pour peu qu’on sache lire entre les lignes, le patchwork demeurait reconnaissable.
Restait à éclaircir le mystère du vol. A défaut de trouver un mobile qui tienne la route, je conclus que les voleurs devaient avoir un petit pois à la place de la cervelle. A moins que ça ne soit l’œuvre des affranchis, un redoutable gang de pigeons mafieux qui sévissait dans les dessins-animés de mon enfance.


On aurait bien besoin du chandelier de la nature morte de Fernand Léger, un autre des cinq tableaux volés, pour faire la lumière sur cette affaire.

Et puis, après tout, je n’avais que faire de ce cambriolage. Les pigeons ne sont que des rats volants, voleurs. Et à présents volés. C’est mérité. J’ai en horreur leur air niais et craintif, leur façon de bouger la tête par à coups, leurs petites pattes violacées et atrophiées. Pas besoin de Süskind pour me mettre au parfum, j’haïs jusqu’au reflet turquoise de leur ramage et leur roucoulement mièvre. Ils sont la racaille de la place Saint-Marc et Saint-François. Rapaces, ils mangent vos miettes et vous les chient sur la tête.
Alors, pourquoi se priver de les manger ? Plus que de la cruauté, il faut y voir un acte généreux : ce serait pour eux un salut des plus nobles après une vie si ingrate passée à emmerder le monde. Et à n’en pas douter une bonne volaille, pour autant qu’on l’accompagne de quelques petits pois.

mercredi 5 mai 2010

concert - The Brian Jonestown Massacre


Après bientôt 20 ans d’enregistrements home made et de tournées chaotiques dans les salles crasseuses du monde entier, loin, le plus loin possible des maisons de disques et des plateaux télés, les BJM peuvent bel et bien s’afficher comme les derniers gardiens de cette musique diabolique qu’on appelle vulgairement rock’n’roll. Drogues, bastons, membres du groupe virés à tour de bras : tout y passe, tant et si bien que la meute d’Anton Newcombe s’est forgée une réputation de vrais durs. Des purs-sangs. Des loups garous au milieu de Disneyland. Restait à vérifier le mythe en live. Car, tel saint Thomas, je ne crois que ce que je vois.

Après quelques heures de train et un ou deux litres de bière dans le sang, me voilà enfin à l’abart de Zurich, petite salle sombre à la scène large, sans barrière, idéale pour la tempête qui s’annonce. Après une première partie quelconque, la foule s’amasse aux premiers rangs avant que les fauves n’entrent en scène, tranquilles, complices et sûr d’eux. Le concert commence sans un mot, mais quelle puissance ! Pas moins de huit gaillards s’alignent face à nous, quatre guitares, une basse, une batterie, un clavier et l’immanquable Mr Tambourine Man, mon préféré. Alors forcément, ça vous prend aux tripes au fur et à mesure que les riffs se répètent et que le rythme s’accentue. Mais les BJM restent très sobres, tout en retenue.
Confiné dans un coin de la scène, ses cheveux masquant son visage, Anton, dont le perfectionnisme frise la paranoïa, réaccorde méthodiquement sa guitare à l’oreille tout les deux morceaux, tandis que le groupe, légèrement soumis, attend patiemment le signal du boss. A côté de lui se tient son frère rival, Matt Hollywood, éternel Poulidor du groupe, dont la pop trash et naïve, plus percutante que les ballades de Newcombe, n’est pas considérée à sa juste valeur. Il est pourtant une pièce indispensable à l’équilibre de la machine, au même titre que l’excentrique Joel Gion, placé au centre de la scène, tel le leader d’un boys band, avec pour seule arme un ridicule tambourin et son air niais. Le pauvre type qu’on avait découvert dans Dig! passera tout le concert les yeux dans le vague à taper en rythme sans jamais donner un coup de trop. Totalement décalé, il contribue mine de rien à créer ce fond sonore lancinant si caractéristique du groupe, sans doute plus que l’armada de guitares, j’en donnerai pour preuve un des guitaristes, qui, bien que disparu au milieu du concert, n'a rien changé à la mécanique bien rouillée du groupe.
D’un calme apathique, les mecs se permettront quand même quelques gorgées de bières et une ou deux blagues pour le public une fois le concert bien lancé, puis se contenteront de taper un peu du pied et de s’allumer une clope entre deux morceaux, histoire de la laisser se consumer entre la corde de mi et celle de la pendant le titre suivant. Lentement mais sûrement, la mayonnaise prend et ne retombera pas : deux heures de concert où les tubes s’enchaînent : Anemone, Not If You Were The Last Dandy On Earth, Oh Lord… Un pur plaisir ! On regrettera seulement que Newcombe, qui prétend tout de même savoir jouer plus de 80 instruments, se cantonne à la guitare et n’empoigne même pas un harmonica pour entonner la ballade de Jimi Jones. Mais bon, on va pas se plaindre, surtout que les types ont eu la sagesse de laisser de côté leur dernier album en demi-teinte pour nous offrir un grand moment de psychédélisme pur et dur. Sans écart mais intense.